Mercredi 28 février. Un matin, après avoir scrollé pendant une heure de manière incontrôlée sur les réseaux sociaux, ma pote m’a sorti, sans aucun contexte : « J’aimerais trop faire de la corde à sauter. » La réalité, c’est qu’elle était tombée sur ce fameux mec aux abdos bien trop dessinés, aux tatouages sublimant son corps et, surtout, au rebond bien défini. Et pas seulement celui de son fessier.
Cet homme, si vous ne le connaissez pas, il faut lui donner sa chance (jette un oeil sur son insta). C’est ce qu’elle a fait, ma pote : elle lui a donné sa chance. J’en étais sûre. Et à cause de lui est née une nouvelle vocation.
Si les paroles de mon amie se sont noyées entre les nombreux TikTok, les débats pour savoir ce qu’on allait manger et l’Île de la tentation en replay à la télé, elles me sont revenues lorsque, deux jours après, j’ai retrouvé derrière la machine à laver une corde à sauter toute neuve. Ne posez pas de questions ; parfois, la vie est surprenante. Surtout celle qui se passe derrière la machine qui, lorsque tu es pressé·e, devient un pot-pourri géant de choses qui trainent et qui finit par tout faire valdinguer derrière. C’est probablement ce qu’il s’est passé avec cette corde à sauter.
C’est ainsi que le dimanche 3 mars, sans aucun contexte, cette corde est réapparue dans mon cerveau et que j’ai effectué les présentations avec mon amie. Une joie. À peine lui avais-je annoncé ma découverte qu’elle enfilait déjà ses baskets préférées et son legging sur son petit cul. Elle était prête.
Avant que j’aie le temps de comprendre, je l’ai vue entamer sa nouvelle activité non sans mal au milieu du salon. En d’autres termes, elle n’était pas très douée. Ses pieds sautaient avant la corde, ses mains faisaient des cercles à la manière d’un joueur de basket et son souffle se coupait après seulement quatre reprises. Ma meilleure amie ne serait pas une championne dans cette discipline, c’était un fait. Cela dit, elle pouvait se faire kiffer, et pour ça, j’étais la première à l’encourager.
Mais, en constatant qu’elle allait défoncer soit un chien soit un mur, je lui ai élégamment et avec fermeté proposé de dégager dans le jardin.
C’est ainsi qu’un dimanche soir, à 20 h, AirPods dans les oreilles, je l’ai vue sortir en brassière et s’installer entre le béton et la pelouse pour commencer sa séance de sport. Moi, j’étais plus soft et je me contentais du canapé, clavier sous les doigts, tapotant pour continuer à faire vivre le business – force était de constater que ma pote ne ferait pas décoller nos comptes en banque en devenant influenceuse corde à sauter. Et j’étais loin de me douter à quel point elle n’avait aucun talent pour ce sport.
Car, à peine cinq minutes après avoir commencé, j’ai entendu un bruit sourd, très violent, résonner dans toute la maison. Au premier abord, j’ai souri en concluant qu’elle avait dû se ramasser la gueule, puis, dans la seconde qui a suivi, comme je n’ai entendu aucun rire éclater après le choc, je me suis immédiatement levée pour la trouver au sol, inerte. Panique. J’étais en panique.
Devant moi, je voyais ma pote, aussi blanche que mon cul après un an sans exposition au soleil (OK, 34 ans sans exposition au soleil), raide comme la bite de mon crush quand il regarde mes stories à la salle, bave à la bouche et petit corps convulsant.
Je me suis précipitée à son secours, sans aucun réflexe de professionnel mais avec ceux du cœur. Je lui ai attrapé la tête et, dans mes mains, j’ai vu ses yeux blancs, ses paupières tremblantes et sa bouche continuant de baver. Trente secondes. Trente secondes qui ont duré une éternité. Et pendant ces trente secondes, j’y ai cru. J’ai cru qu’elle allait mourir, là, dans mes bras, à cause d’une séance de corde à sauter dans un jardin pourri. Je me voyais déjà expliquer toute la situation devant ses parents, à son enterrement en train de faire un discours relatant les derniers moments de sa vie, en train de décrire la scène du crime à la police et peut-être même face au juge, jurant que je ne suis pas celle qui l’a tuée et que, oui, elle est décédée à cause d’une corde à sauter.
Puis, dans ces trente secondes, j’ai aussi vu ma main qui, par réflexe, s’était directement posée sur l’arrière de son crâne alors même que je le savais, il ne faut pas toucher un corps qui vient de subir un si grand choc.
Bien sûr, j’en étais consciente. Mais devant moi, j’avais ma sœur, au sol, en train de mourir, et l’unique chose que j’avais besoin de savoir, c’était si son cerveau quittait son crâne pour s’étaler sur mon fichu béton. Rien. Je n’avais rien sur les mains, et c’est une des seules bonnes nouvelles que j’aie vues dans ces trente secondes. Enfin, j’ai hésité : devais-je la mettre en PLS ? Devais-je de nouveau déposer sa tête pour la laisser sur le sol, courir récupérer mon téléphone et appeler les pompiers, l’abandonnant pendant quelques secondes qui pourraient être fatidiques ? Quand bien même, seraient-ils assez rapides pour la sauver ? J’avais mille questions, et le temps m’a finalement aidée.
Car, alors qu’elle était encore contre moi, que je lui parlais d’une voix douce pour la rassurer, ses yeux se sont ancrés aux miens, sa bouche a cessé de jouer les escargots et elle a balbutié quelques mots : « Qu’est-ce qui s’est passé ? »
Qu’est-ce qui s’est passé ? Je n’en avais aucune idée.
Pour moi, elle avait trébuché et s’était explosée au sol dans un bruit après lequel je n’aurais pas pensé qu’un crâne pouvait survivre. Je le lui ai dit, avec des mots plus rassurants. Je lui ai expliqué que tout allait bien, qu’elle devait prendre son temps, qu’elle avait simplement chuté. Je tremblais de tout mon être, les larmes aux yeux, mais je me réjouissais qu’elle ne soit pas morte. Vraiment. Pour la première fois de ma vie, pendant quelques secondes, j’ai cru qu’une des personnes que j’aimais le plus dans ce monde allait me quitter, et dans mes bras.
Je l’ai assise tranquillement, lui ai mis une couverture sur les épaules en lui ordonnant de ne pas bouger, lui ai apporté un verre d’eau et j’ai finalement réalisé la bêtise de la situation. Elle était là, au sol, alors qu’elle aurait pu se tourner dans l’autre sens pour tomber dans la pelouse de mon jardin. Mais non. Elle avait préféré le béton.
Une fois entrée et calmée, mon amie m’a rappelé qu’elle faisait des malaises vagaux. Des fucking malaises vagaux.
Elle s’en est souvenue : durant les dernières secondes de corde à sauter, elle avait senti son corps partir et avait tenté de rentrer. Trop tard, de toute évidence.
J’ai mis plusieurs jours à pouvoir en rire, moi qui habituellement tourne absolument tout en dérision. J’ai aussi débloqué un nouveau trauma : celui de voir ma pote à demi morte sur le sol. Tout s’est bien fini, sauf pour la corde à sauter que je rêve de jeter alors qu’évidemment, elle veut en refaire. Comme une vielle mère insupportable, je deviens cette personne qui l’engueule en le lui interdisant. Et heureusement, elle accepte… pour le moment.
Le seul point positif ? Cela m’a rappelé de prendre soin de moi, parce que tout peut aller très vite. Et que la corde à sauter, c’est très cardio. À ne pas mettre dans les mains de vos grands-parents, sauf si vous voulez toucher l’héritage. C’est ce que j’ai compris, ce jour où une corde à sauter a causé le pire.