Vendredi 15 mars. C’était le grand jour. Celui où ma mère devait débarquer avec sa meilleure copine pour fêter les soixante ans de cette dernière. Elles deux, c’est une belle histoire. Cath et Lolo. Cathoche et Tata Lolo pour les intimes.
Probablement cinquante ans d’amitié, et ça, c’est pas rien. Ensemble, elles ont mille anecdotes : toutes celles où elles ont appelé les esprits autour d’un verre ; celles où elles draguaient des petits culs pendant qu’ils faisaient du handball ; celles où elles critiquaient Béatrice, la troisième roue du carrosse ; celle où elles ont embrassé toutes les deux le même mec ; celle où ma mère a craché en scoot’ et Lolo l’a réceptionné en pleine gueule… Tant d’histoires qu’il fallait fêter durant ces deux prochains jours.
L’objectif était simple : un week-end entier que Cath allait consacrer à sa bestie. Ça, c’était sur le papier. Car dans la réalité, c’était surtout ma bestie et moi qui allions prendre soin de Lolo. Ma mère le sait : j’adore chouchouter les gens que j’aime, et sa meilleure amie, elle en fait partie. Cette femme, c’est la douceur, la gentillesse et la bienveillance incarnée. Alors, je voulais la célébrer et lui apporter une bulle de plaisir.
Pour ce faire, j’avais Paris. La magnifique, la somptueuse Paris. Elle qui, ce jour-là, se nourrissait de soleil et nous offrait ses plus belles lumières. De quoi faire rêver. En tout cas pour les gueuses que nous sommes. Nous avons profité d’un petit brunch dans un restaurant sympa du 13e, puis foncé faire un relooking dans la friperie d’un de mes meilleurs amis, avant de commander chinois pour terminer sur le canapé à la maison. Une journée parfaite… jusqu’à ce que je comprenne vraiment ce dont Tata Lolo avait besoin.
La bestie de ma mère, elle est seule. Elle a deux enfants d’un mec dont elle s’est séparée il y a quelques années, une chienne qu’elle adore comme sa fille, un job qu’elle supporte et une petite maison en bordure de ville. Lolo, c’est une maman, une ex-compagne, une gardienne, une employée, une locataire.
Mais Lolo, c’est surtout une femme. Une femme qui réapprenait à vivre, à soixante ans.
Dans mon imaginaire, une fois la quarantaine passée, on est sur le déclin (à toutes les femmes de plus de quarante ans, veuillez m’excuser : ceci est romancé, la suite va vous rassurer. Vous n’êtes pas vieilles. Enfin, pas trop). Alors, à soixante ans, c’est la fin. Pour moi, ton corps est défraîchi, tes envies aussi et tu te contentes de survivre. Ce qui me réconforte, c’est que cette mentalité, je l’avais à seize ans quand je pensais à la trentaine. Aujourd’hui, à trente-trois ans, j’ai encore l’impression d’être une ado. Et de toute évidence, à voir Lolo et ma mère, elles aussi, elles se sentent comme telles. Car Lolo, comme dans une vraie pyjama party, a attaqué dans le dur : les mecs. Et là, elle a été ma révélation.
The Voice en fond, cacahuètes dans une main, verre de whisky dans l’autre, elle m’a demandé de lui tirer les cartes pour lui prédire l’avenir.
Je l’ai compris, ce n’était pas tant du futur qu’elle voulait parler, mais bien du présent. Car son présent, il était solitaire, et la femme en elle souffrait. Elle, ce qu’elle désirait, c’était de la tendresse, de l’attention, des mots doux et des nuits de sexe endiablées. Lolo, elle n’était pas du tout une vieille aigrie qui attendait la Faucheuse. Elle voulait tout, comme une seconde chance, comme une renaissance, comme un renouveau bien mérité. Mais Lolo, elle avait souffert. Forcément, les déceptions se comptent, et si elles sont déjà trop nombreuses pour moi à trente-trois ans, je n’imagine pas ce qu’il peut en être à soixante. Alors, je l’ai écoutée. Je l’ai écoutée me parler de Jean-Michel, son dernier match sur Tinder qui ne lui donnait pas de nouvelles – probablement déjà marié –, de Bruno, son collègue un peu misogyne, ou de Laurent, son date régulier mais qui ne veut rien de sérieux.
Je l’ai écoutée me raconter ses histoires et j’ai compris : qu’importe l’âge, les problématiques sont souvent les mêmes. Mieux, les solutions sont souvent les mêmes. Et, d’un coup, j’ai su ce qu’il lui fallait réellement, à Lolo. Ce n’était pas un homme, c’était elle-même. Elle devait s’aimer, pour de vrai.
C’est ainsi que dès le dimanche, à quelques heures du départ, nous avons attaqué le vrai, l’essentiel : la reprise de confiance. Premièrement, on a commencé avec un gros coaching dont le thème était « On ne court après personne, ce sont eux qui te courent après ». Un comble lorsque l’on sait que la coach, alias moi, est la première à envoyer des messages à un homme qui ne donne plus de nouvelles depuis six mois. Mais c’est une autre histoire. Une fois ce coaching bien enregistré, il s’agissait d’attaquer la phase physique, celle du relooking. Et si la veille nous avait offert une nouvelle garde-robe, il restait beaucoup à faire. Non que ma Tata Lolo ne soit pas une jolie femme, car nous le sommes toutes (c’est faux, mais on va le faire croire : beauté intérieure, bla, bla, bla), mais un relooking ne suppose pas seulement des nouveaux vêtements, il suggère surtout une autre attitude pour les arborer. Ça, j’étais capable de le lui apporter. Moi, et principalement ma meilleure amie, la pro du make-up.
Elle, elle mate trois vidéos YouTube par jour pour savoir comment bien réaliser son contouring qu’elle ne fait même pas, écoute des podcasts sur le dernier mascara à la mode et passe trente minutes sur son teint chaque matin. Bref, c’est une pointure.
C’était donc avec cette étape que nous devions commencer. Terminé le crayon bleu qui rétrécissait ses beaux yeux : Ophé lui proposait un maquillage simple, épuré et naturel. Puis, on est parties en shooting photo. Oui, nous avions passé plusieurs heures à lui rappeler qu’elle n’avait besoin de personne pour être heureuse, encore moins d’un homme. Certes. Mais difficile de déconstruire les croyances d’une vie, et pour Lolo, c’était évident : il fallait qu’elle retrouve l’amour. Et, bien que cela ne soit pas le plus romantique ni le meilleur moyen d’y parvenir, qu’importe l’âge, c’est les applis de rencontres qui sont le plus efficaces. Lolo, elle s’y connaissait. Pourtant, son profil méritait une attention particulière. En d’autres termes : ses photos devaient être plus sexy. Bien sûr, on ne souhaitait pas qu’elle attire les vieux croûtons au gland surexcité et aux pruneaux en guise de couilles. Non. Mais on voulait qu’elle trouve ceux capables de l’inviter à diner avant de l’embrasser fougueusement devant chez elle, ceux capables de faire palpiter son cœur endormi, ceux capables de lui rappeler qu’elle était vivante, ceux capables de lui faire l’amour le dimanche matin et tous les autres jours de la semaine. Et pour ça, il fallait des photos de qualité.
Maquillage en place, bouton du chemisier ouvert et pantalon cintré sur le fessier, elle était prête. Prête à faire danser l’objectif… et à adorer ça. Devant moi, ma Tata Lolo s’est dévoilée.
Elle souriait, fière d’elle, touchée d’être entourée et épaulée, libre et un poil sauvage. Sur chaque photo, elle se faisait plus coquine, un poil espiègle et joueuse. Et c’est de cette manière qu’elle est devenue le plus belle. Lorsqu’elle a décidé d’être heureuse, confiante et optimiste. Alors, j’ai compris que les incertitudes peuvent frapper jusqu’à soixante ans… tout comme le bonheur. À cet instant, comme à chaque moment, tout restait à écrire, encore et encore, comme une éternelle page blanche. Il n’était plus question d’âge, il était question de femmes qui partageaient leurs incertitudes, leurs forces, leurs faiblesses et leur soutien. Il était question de vie, tout simplement.
Tata Lolo est repartie les larmes aux yeux, émue d’avoir été le centre de l’attention, avec de nouvelles photos et de merveilleux souvenirs. Mais surtout, Tata Lolo est repartie avec l’envie de vivre intensément, de profiter de chaque minute, seule ou accompagnée. Finalement, c’est peut-être maintenant qu’elle est le plus vivante… C’est ce que j’ai compris, ce jour où j’ai expérimenté la soixantaine.