Dimanche 9 mai. Le cœur qui palpite à l’idée de rencontrer des personnes que je suis sur les réseaux depuis des années, de passer du temps avec des étrangers, de me retrouver au milieu de nulle part sans savoir ce qui va arriver, de travailler pour une grande marque qui a des attentes et de ne pas être à la hauteur… d’aller vers l’inconnu tout simplement. Je partais en Équateur. Je partais en Équateur avec trois autres influenceuses, une équipe marketing et une agence de voyages qui nous avait tout préparé. Je partais en Équateur sans rien savoir.
Si je dois être honnête avec vous, à quelques jours du départ, je ne voulais plus y aller.
Je suis toujours comme ça. Une casanière que l’inconnu effraie et qui, par protection, se dit qu’elle n’a plus envie. Alors, pour ne pas déroger à ma règle, j’ai râlé. Mais, j’avais un contrat, un contrat qui m’obligeait. Et surtout, j’avais l’habitude.
À la dernière minute, j’ai préparé mes affaires, en oubliant des t-shirts et des culottes, en y mettant trop de médicaments auxquels je ne toucherais pas, en vérifiant 20 fois que mon passeport était à sa place, en checkant les stories des autres influenceuses pour savoir où elles en étaient, en constatant qu’elles avaient une organisation bien plus élaborée et en recommençant à stresser. J’ai épilé les derniers poils de mes sourcils, rasé mes jambes et surtout ce qu’il y avait entre, et terminé par blondir ma moustache. J’essayais de m’adapter, non pas au terrain hostile qui m’attendait, mais au monde de l’influence. Car, pour être honnête, c’était ça qui m’effrayait le plus : ne pas être à ma place au milieu de filles parfaites. Et, scoop, ça a été un peu le cas… mais laissez-moi continuer de vous poser le contexte avant de vous en dire plus.
19 h 30, dimanche. Le taxi m’a déposée à l’hôtel où j’ai retrouvé Bérengère, Alexia et Laure. C’était la rencontre. Les grands sourires, les petits silences et la grosse excitation. Nous étions heureuses. Heureuses de partir pour cette folle aventure et d’enfin pouvoir échanger directement. Dès la première minute, le feeling est passé. Je n’en doutais pas vraiment. Après tout, je les connaissais grâce aux réseaux. Camille, elle, n’avait pas le même vol, pour des raisons indépendantes de notre volonté à tous.
Et puis, lundi matin, 6 h 30, nous voilà partis, avec Paul de Cheerz et Nathalie de Double Sens, l’agence de voyages. L’équipe était (presque) au complet. Et le périple pouvait continuer. À partir de ce moment, tout s’est enchainé. L’avion, les trois vols qui ont été très douloureux, l’excitation qui nous faisait tout oublier, l’arrivée à Quito, le minibus qui nous attendait, les retrouvailles avec Camille, l’hôtel hyper charmant, le réveil en jetlag à 5 h 30 du matin, l’ascension impossible de Cotopaxi, le minibus vers l’Amazonie, la chambre avec Alexia, les trois heures de pirogue, la rencontre avec les Sarayaku, la chicha fatale, la baignade dans la rivière, les longues discussions, les prises de conscience, les larmes d’adieu, la route vers les Canaries, la découverte de Santiago, le mariage improvisé et tout le reste. Tout ça, vous l’avez vu. Mais ce que vous n’avez pas vu, c’est les coulisses, et surtout, ce qui vous intéresse : les potins. Potins qui, dans cette expérience, ont plus été des révélations.
Sans surprise, nous sommes toutes différentes. Ou plutôt, je suis très différente.
Pour être complètement sincère, le voyage s’est extrêmement bien passé, avec tout le monde, même si, évidemment, j’ai eu plus de feeling avec certaines qu’avec d’autres. Comme dans tous les groupes, en somme. Mais ce qui était intéressant, c’était à quel point je me sentais différente, notamment par rapport aux influenceuses — que j’ai, j’insiste, adorées. Des filles simples, bienveillantes, profondément gentilles, très second degré, faciles à vivre. Un plaisir. Mais elles m’ont confrontée à un moi parfois difficile à accepter. Sur les réseaux sociaux, et d’une certaine manière dans la vie, je suis la moins bonne de tes copines. Ce n’est pas qu’un nom. C’est ma réalité. Depuis toujours, je suis la pote un peu grogrosse, qui fait des blagues, maladroite, la Gaston Lagaffe de l’équipe, l’extravertie rigolote, celle qui fait rire les filles populaires et qui leur permet de pécho le chef de la team de foot du lycée. C’est cliché, mais c’est pourtant vrai. Et là, pendant ce voyage, j’étais avec ces filles cool, renommées dans mon vocabulaire : les filles A. Alors, naturellement, je me suis positionnée comme le bouffon du roi, celle qui ne peut que faire rire, qui se dévalorise et qui ne sait pas agir autrement.
Car — et désolée de vous l’avouer — ce qu’elles sont sur les réseaux, c’est ce qu’elles sont dans la vie. Elles sont belles, n’ont pas d’auréoles même sous 40 degrés au milieu de la jungle, elles ne sentent pas mauvais, leurs visages ne sont pas rouges, leurs ongles sont toujours nickels, elles mangent avec délicatesse en prenant un petit kilo si elles font un excès, elles ne sont pas moches après quinze heures d’avion, elles n’ont pas les traits horribles après seulement quatre heures de sommeil, elles n’ont pas de rides car elles boivent suffisamment d’eau, elles mangent des cochonneries et elles assument, elles sont stylées même avec un k-way, elles ne galèrent pas pendant les randonnées, elles ne trébuchent pas sur les cailloux et elles n’ont pas de cernes, peu importe leur niveau de fatigue. Elles existent vraiment. Et moi aussi. Moi qui étais trempée de sueur le premier jour en Amazonie, les cheveux mouillés comme après un passage dans la piscine, en tachycardie quand j’essayais de marcher sous la chaleur, à poser pour des photos que j’ai détestées et qui me montraient mes bourrelets et mon style à chier pendant tout le voyage. En somme, elles m’ont rappelé que, finalement, je ne suis pas si bien dans mon corps. Et, je l’avoue, sans même que ce soit de leur faute, car elles n’en avaient même pas conscience et elles étaient simplement elles-mêmes, j’ai eu mal. J’ai eu mal de me sentir si inférieure, physiquement et moralement.
Car, outre leur apparence, sur le papier en tout cas, et après une semaine passée avec elle, j’ai compris qu’elles avaient tout. Business florissant, maris canons et attentionnés à qui elles manquaient, enfants parfaits qu’elles voulaient retrouver, maisons incroyables dans lesquelles elles pourraient se reposer. Elles sont ces filles que j’admirais dans les séries, et que j’admire parfois encore.
Et puis, on a eu un désaccord. Un vrai, unique. Qui n’en était pas vraiment un d’ailleurs. Et c’est ici que le potin arrive.
Vendredi matin, 4 h, autour d’un feu, on a discuté du monde et de celui de José, chef des Sarayaku, homme dont le combat de toujours est la sauvegarde de l’Amazonie et la préservation de la biodiversité. Et moi, ce combat, il m’importe. Cette planète, elle m’importe. Et toutes les conséquences qui en découlent m’importent. C’est vrai, j’ai la chance d’apprendre, de comprendre, d’avoir fait des études, de m’ouvrir à l’autre, aux autres, à l’Histoire, à tout ce qui m’entoure et parfois même ce qui ne m’entoure plus.
Alors, je me suis exprimée, avec des mots forts, peut-être trop marqués, avec trop d’entrain, trop d’engouement, trop de persuasion. Exprimée sur notre rôle à nous, les « riches », qui avons la chance de pouvoir changer les choses. Et elles ont été d’accord. Et, plus encore, elles y ont réfléchi, elles qui, pour le coup, avouent consommer beaucoup, voire pousser à la consommation de par leur métier d’influenceuses, là où de mon côté, j’ai complètement déconstruit cet aspect, la volonté du toujours plus matériel, les besoins créés par un monde capitaliste et cette envie constante d’argent. Pour moi, ce n’est pas un but et, il est vrai, c’est une réflexion de plusieurs années, alimentée par des lectures, des conférences, des podcasts, des interviews, etc. Et c’est à ce moment que j’ai compris ce voyage. Car elles m’ont permis de prendre conscience que j’avais encore du chemin à faire pour m’aimer, principalement physiquement, et j’ai compris que je les avais aidées dans leur route vers un mode de vie plus éthique et moins centré sur la consommation, grâce à qui je suis, dans ma tête et dans mon cœur. Nous sommes différentes, nous ne sommes pas au même niveau de nos vies, et c’est une force. C’était donc ça, le véritable message de cette expérience : se confronter à soi, à qui on est, à ce qu’on sait, à ce qu’on ne sait pas, à ce qu’on ressent vraiment et agir en conséquence.
De ce voyage, je retiens tout ce que vous savez déjà, tout ce que j’ai pu vous partager et ce que j’ai pu vous montrer. Mais de ce voyage, je retiens aussi ces moments avec ces filles géniales, si différentes de moi et finalement un peu pareilles, que je ne fréquente jamais dans mon quotidien et qui m’ont permis de me rendre compte que j’avais besoin de changer certaines choses dans ma vie pour me sentir encore mieux et soigner des complexes ancrés depuis toujours. Et, au fond de moi, j’espère aussi, à ma manière, leur avoir donné envie de faire même de tout petits changements dans leur vie pour rendre ce monde meilleur. C’est ce que j’ai compris, ce jour où je suis allée en Équateur.