La Moins Bonne de tes copines

Ce jour où j’ai retrouvé mes collègues

Jeudi 10 octobre 2019. À cette époque, j’étais une toute autre femme. Je bossais dans une start-up reconnue, pleine de sens et que tout le monde adore ; je vivais dans un 25 mètres carrés au milieu de Paris et je passais mes soirées à boire des bières avec les potes. Ça, c’est faux. J’ai toujours été une asociale. Mais tout le reste, c’est vrai.

J’avais une autre vie, et surtout, j’avais d’autres fréquentations. Les principales d’entre elles étaient mes collègues. Si vous n’avez pas la chance (ou la malchance) de connaître le monde de la start-up, voici une règle de base : vos collègues sont présentés comme votre famille. Famille qui est capable de vous virer s’il le faut, mais famille quand même.

Le monde de la start-up, c’est aussi cet endroit où un appel téléphonique est appelé un call, où une phrase sur deux comporte un mot anglais et où la moyenne d’âge est d’environ 25 ans. Ça, c’est d’ailleurs le point qui nous intéresse. Parce que, forcément, je vais pas vous le cacher, pour faire des rencontres, c’est top. Et puis, histoire de compléter le cliché, ces jeunes de 25 ans sont évidemment tous le stéréotype du Parisien bobo privilégié. D’un côté, ils sont intelligents, malins, plutôt drôles et assez beaux. Et de l’autre, ils sont insupportables, pédants et profondément débiles. C’était toute la complexité de mes rencontres de l’époque.

En moi, ces hommes créaient une contradiction : je les désirais autant que je les détestais, ils me plaisaient autant qu’ils me dégoûtaient, ils m’inspiraient autant qu’ils me répugnaient. Parce qu’ils faisaient le taf, ils étaient ambitieux et savaient ce qu’ils voulaient — en bref, des boules d’énergie masculine (si t’as pas lu les nouvelles précédentes, moi je peux plus rien pour toi). Mais ils étaient complètement enfermés dans leur monde, sans tolérance, sans bienveillance, sans aucun lâcher-prise, sans la moindre extravagance. Mais ça, en octobre 2018, je ne l’avais pas encore compris…

C’est ainsi que je me suis amourachée de l’un d’entre eux. Et le verbe “s’amouracher” a toute son importance. Pour moi, s’amouracher, c’est un peu le low-cost de l’amour. S’amouracher, c’est une version soutenue d’un crush, mais avec un petit côté obsessionnel. C’était exactement ce que j’étais.

En quelques jours, lui, avait fait fondre mon cœur. Il l’avait rendu amoureux. D’ailleurs, confession pour confession, nous pourrions l’appeler Gaspard. Parce que oui, c’est de lui que je me suis inspirée. Et malheureusement — parce que cette histoire ne dépend pas que de moi et que balancer l’intimité des autres m’a déjà causé du tort —, je ne pourrai vous donner que de vagues bribes de réalité. Mais celle-ci en est une : Gaspard, j’en étais vraiment amourachée. Et puis, moi, je suis dans l’excès (sans blague). Alors, quand je m’amourache de quelqu’un, je pense à lui, j’en fais des tonnes, je me retrouve à mettre des robes alors que je préfère les jeans, à mettre des talons alors que je les déteste, à me maquiller un peu trop alors qu’il fait 40 degrés, à sortir boire des bières alors que je déteste l’alcool et à fumer des clopes pour me retrouver avec du goudron au fond de la gorge. J’étais donc cette version de Noëllie pour séduire Gaspard. J’étais en extase à chaque réunion devant ses gros bras, je riais à toutes ses blagues alors même qu’elles n’étaient que moyennement drôles, je passais un temps fou à choisir ma place au bureau pour ne pas être trop loin de lui et je checkais son agenda pour nous trouver du temps ensemble. Et pourtant. Pourtant…

Sans suspense, si tu as lu 387 jours, tu as donc compris que j’ai rapidement appris qu’il était amoureux d’une autre. Oui, ça a été extrêmement violent. Je me suis remise en cause, je me suis demandé pourquoi pas moi, j’ai pensé que j’étais un gros laidron, pas intéressant, trop timide, pas assez bien pour lui. Mais je te rassure, 48 heures après, je m’en étais déjà remise. Les joies d’en faire beaucoup trop. Et le pouvoir de s’être amourachée. Qui plus est, il m’a permis d’écrire un livre. Et rien que pour ça, je le remercie.

Mais la vraie histoire que je voulais vous raconter aujourd’hui, c’est celle qui suit. Il y a quelques semaines, Gaspard m’a invitée chez lui. Je vous rassure tout de suite : je n’étais pas seule. D’abord, il y avait celle qui m’a volé la vedette à l’époque, et ça, c’est quand même très risible. Et surtout, il y avait tous ses amis. Et le plus intéressant se passe maintenant. Dès le moment où j’ai débarqué à la soirée, je n’étais pas à ma place. Ce n’était pas ce que j’appelle une mauvaise soirée. Preuve étant : je suis restée un bon moment. Déjà, parce qu’il y avait certains de mes amis, évidemment. Mais pas seulement. J’ai rigolé, j’ai discuté, j’ai même tenté de draguer un ou deux mecs. Mais rien n’y faisait, ce n’était pas moi. Un imposteur, j’étais un imposteur. Je parlais de choses que je ne connaissais même pas. Qui ne m’intéressaient pas. Et je me sentais extrêmement con. Quand je draguais, comme deux ans auparavant, j’avais l’impression d’être une merde inintéressante. Et surtout, surtout, je me confortais mon idée que je finirais célibataire à vie. « Regarde, ma grande, tu vois bien que tu ne les intéresses pas et que tu n’es pas faite pour eux » : c’était ce que je me répétais. Et j’avais raison. Je n’étais pas faite pour eux. Mais ils n’étaient pas non plus faits pour moi.

Au milieu de ses amis et de quelques personnes que je connaissais déjà, tout a fait sens. Plus de deux ans après que je m’étais amourachée de cet homme, l’univers m’expliquait tout. Non seulement je n’étais pas à ma place, mais en plus de ça, ils incarnaient tous ce que je ne voulais plus dans ma vie. Bien sûr, ils restaient drôles, intelligents, malins, ambitieux. Mais ils avaient oublié tout le reste, ce que j’avais complètement effacé avec mes yeux de l’amour. Et tout le reste est aujourd’hui mon essentiel. Dans mon entourage, je n’ai que des gens tolérants, ouverts à l’autre, extravertis, curieux, qui défendent des combats au quotidien et qui vivent parfois même pour ça.

Bonjour Monsieur

Quelques jours après cette soirée, j’ai rencontré d’autres hommes. D’autres hommes qui appartiennent au même milieu que moi, avec la même créativité, la même folie, les mêmes combats, la même extravagance. J’ai rencontré des hommes qui veulent se mettre du vernis simplement parce que c’est beau sans se questionner sur leur hétérosexualité ; j’ai rencontré des hommes pour qui défendre la cause féminine est encore plus important que pour moi ; j’ai rencontré des hommes qui se déguisent en autre parce que c’est ce qu’ils veulent ; j’ai rencontré des hommes qui me demandent de rire encore plus fort parce que c’est ce que je suis… Toute ma vie, on m’a demandé l’inverse. Mon premier amour, surnommé Tête de Girafe en rapport à la longueur de son cou (et pas d’autre chose, croyez-moi), me demandait sans cesse d’arrêter de faire le show et d’être trop bruyante. D’arrêter d’être plus drôle que lui, en somme. C’était par ça, que j’étais attirée avant. Ces mecs toxiques, incapables de me laisser briller, de me laisser faire ce que je sais faire de mieux : être moi-même.

Finalement, Gaspard représentait le stéréotype de l’homme que mon imaginaire avait nourri toute ma vie. Le parfait petit étudiant d’école de commerce qui me demande de ne pas trop me faire remarquer, mais d’être capable de parler quand même. En deux ans, toute ma vie avait changé et mon cœur avait enfin accepté ce qu’il voulait vraiment. J’ai compris que ce n’était pas que je n’étais pas intéressante, mais que je tentais seulement de l’être avec les mauvaises personnes. J’ai compris que les personnes par qui je pensais être attirée ne pouvaient dans le fond pas m’offrir ce dont j’ai besoin. J’ai compris que la petite Noëllie n’avait pas voulu laisser vivre la grande Noëllie. Moralité, et c’est pourtant ce que ma grand-mère me répétait sans cesse : il faut juste savoir s’entourer des bonnes personnes. Et accepter que ça prenne du temps.

C’est ce que j’ai compris, ce jour où j’ai revu mes collègues.

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14 réponses

  1. Leveque Nadège dit :

    Tu as raison les hommes qui nous demandent de la mettre en veilleuse pour ne pas trop leur faire de l’ombre, c’est saoulant !
    Moi qui parfois pourrais monter sur scène juste pour raconter une blague alors que personne ne m’a rien demandé, je peux aussi avoir peur de rentrer dans la boulangerie car il y a trop de monde …
    Alors quand je suis heureuse et que je suis extravertie mon mari sait qu’il ne pourra pas me faire taire, le mieux c’est qu’il fasse le con avec moi.
    A jeudi ! 💋

  2. Carpentier dit :

    C’est tellement vrai ! On se fait une image de l’autre et de nous même qui n’est pas la bonne et surtout on évolue !! C’est pas toujours évident à comprendre mais quand c’est fait ça change la vie, n’est ce pas !?! 😉

  3. Coco dit :

    Laisser les bonnes personnes rentrer dans notre bulle !
    Toute la difficulté ! Mais ta grand mère à raison . Il faut être patiente. Tout arrive … au bon moment .

  4. Mégane Fouet dit :

    Wahou ce que je me reconnais dans ton écrit et mine de rien ça m’aide à déculpabiliser…
    Je suis dans une situation bien difficile actuellement je réfléchi sans cesse justement au fait que je ne me sente pas à ma place ou je suis actuellement et avec qui je suis… Mais se lancer est difficile même si c’est essentielle… Le temps fera les choses…
    Merci ❤️

  5. Coralie Psc dit :

    Merci pour ce récit, c’est difficile de se rendre compte car on a toujours tendance a ce dire que c’est nous qui avons un “problème”, qui ne sommes pas née à la bonne époque 😂.
    J’ai toujours été cette fille pleine d’énergie, qui l’a ramène un peu trop parfois mais comme toi j’ai eu un déclic en voyant pour moi d’anciens “potes” d’école. Je ne m’attache pas aux nouvelles personnes facilement car les amis de mon entourage sont là et ce sont eux qui finalement me connaissent le mieux aujourd’hui. Une chose est sûre il faut toujours écouter sa grand-mère ! ♥️

    Coco

  6. AURELIE POITOU dit :

    J’aime beaucoup cette nouvelle, merci à toi

  7. Angelique Toux dit :

    C’est dur parfois de comprendre ce dont on a réellement besoin. Juste parce qu’on veux être comme les personnes qui nous entourent
    Je l’ai compris y’a pas longtemps non plus et ça a laisser des blessures. Mais nécessaire pour le bien être.

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