La Moins Bonne de tes copines

Ce jour où j’ai gardé 3 chiens

bkg B Club

Mercredi 17 mai 2023. J’ai fait un pacte. Pas avec le diable, mais presque. Avec ma mère. Ma mère, c’est une négociatrice dans l’âme, une marchande de tapis, une commerciale. Je sais de qui je tiens mon côté pitbull en affaires. Et parfois, cela se retourne contre moi. Comme ce mercredi 17 mai.

En réalité, tout s’est bien passé avant. Lors du week-end de Pâques à la maison, mon neveu a bouffé le caca de Gégé, pensant que c’était un œuf de chocolat. Faut vraiment être con. Une fois les dents d’Axel brossées, on a entamé les négociations.

La question était simple et, en réalité, ce n’était que des problèmes de riches. Pour vous donner le contexte, je partais en Équateur quelques jours (premier problème de riches) et je devais laisser Gégé à mes parents ; mes parents, eux, partaient à Belle-Île-en-Mer à mon retour de vacances et… voulaient que je garde leur chien (deuxième problème de riches). Le troisième problème, c’est que la meilleure amie de ma mère a aussi un chien et partait également avec mes parents en week-end. Vous le voyez arriver… Évidemment, j’ai proposé de venir récupérer Gégé à mon retour d’Équateur et de rester quelques jours de plus chez mes parents pour garder les deux chiens. En résumé, j’allais passer cinq jours avec un borgne poilu, un gros con poilu et un pot de colle souffrant de dépendance affective poilu. Le tableau s’annonçait magnifique… et il l’a été. À mon retour, Gégé s’est fait une joie de me revoir et jusque-là, c’était le paradis. Le bordel, il est arrivé quand mes parents et leur meilleure pote sont partis, quand je me suis retrouvée en tête à tête avec les trois chiens et quand j’ai dû gérer leurs caractères différents.

Car Gégé, c’est un indépendant, un qui n’a jamais vraiment besoin de moi, qui se contente d’une bonne balade par jour, de son panier, de sa pâtée et de son quart d’heure de folie avec ses nounours achetés en foire à tout. Gégé, pour ceux qui se demandent, je l’ai récupéré dans la rue, alors lui, il est vraiment pas chiant. Il se fait discret et il accepte tout, surtout d’être tranquille. Mais les deux autres, c’est bien différent.

D’abord, il y a Francklin.

Francklin, c’est un gros con. Désolée si tu passes par là, mais c’est pas faute de te l’avoir déjà dit en face. Ce chien, si c’était un humain, ce serait le genre à gueuler sur tout le monde, à boire des verres au bar en insultant le serveur, en fumant des clopes, en regardant de côté et en provoquant le moindre petit jeune du quartier. Mais Francklin, ce serait aussi l’oncle un peu rigolo, qui est toujours partant pour une promenade en forêt même s’il fait de l’asthme et qu’il faudra porter après cinq kilomètres, ou le mec sympa qui est tout le temps prêt pour un foot. Uniquement quand il veut. Bref, Francklin, c’est un sacré phénomène.

Puis, il y a Indra.

Indra, c’est un golden retriever. Avec ça, les spécialistes des chiens ont déjà tout compris. Ceux qui n’y connaissent rien vont devoir lire la suite. Un golden retriever, c’est un gentil toutou. Un très gentil toutou. En d’autres mots, un chien qui ne quitte jamais son maître, qui veut des câlins à longueur de journée et qui prend beaucoup de place. Indra, elle peut passer la journée à se faire caresser, à attraper ta main pour la mettre sous sa tête et à réclamer de l’affection en grattant ta cuisse. Et puis, Indra, c’est pas un chihuahua. Non, Indra, c’est un gros chien. Un gros chien qui défonce tout sur la table basse avec sa queue et qui perd ses poils noirs partout dans la baraque.

Le premier jour, la cohabitation était plutôt agréable. À l’exception du dîner où dealer avec trois toutous qui ne sont pas habitués à vivre ensemble n’a pas forcément été évident… À l’exception aussi du soir où tout le monde a voulu dormir avec moi. À l’exception enfin du matin quand ils m’ont réveillée à 7 h pour aller chier. Mais c’est cette dernière exception qui m’aura valu une (presque) belle rencontre.

À 7 h, donc, je me retrouvais en mi-pyjama, mi-jogging, cheveux planqués sous une casquette, pull qui cache le tout, à promener ces trois chiens qui m’écoutaient à peine et qui, une fois lâchés, sont partis comme des furies au milieu de la forêt parce qu’ils avaient repéré un lapin.

Mon Gégé, lui, il est resté avec moi. D’abord parce qu’il m’obéit, mais surtout parce qu’il ne l’a pas vu. Mais les deux… Les deux autres, un berger et un chasseur, sont partis à pleines pattes, à une vitesse incroyable, et ont disparu. Moi, j’ai couru en hurlant, j’ai tenté de les retrouver, mais sans succès. J’ai commencé à paniquer, je me suis assise dans le champ en bordure de forêt en espérant qu’ils reviennent. J’ai attendu, Gégé à mes côtés, en priant pour que ces deux chiens qui n’étaient pas les miens finissent par trouver ma présence plus intéressante que le rongeur qu’il ne réussirait probablement jamais à attraper. Et pour cause… À ma grande surprise, je les ai vus revenir après quinze bonnes minutes avec un lapin bien plus sympa entre les pattes.

Indra, la golden, était attachée à une corde et Francklin était porté par un jeune homme charmant qui semblait les maîtriser. Comme un héros, il sortait de la forêt avec mes deux chiens, chemise de bûcheron sur l’épaule, bottes en caoutchouc aux pieds, jean qui moulait ce qui ressemblait à un petit cul, même si je ne voyais que le devant. Ses cheveux bruns étaient cachés sous une casquette et tombaient sur des trapèzes qui ne semblaient pas frémir malgré les quinze kilos de ce gros Francklin qu’il tenait d’un bras. Lui qui, habituellement, pouvait mordre n’importe quelle personne qui ne lui revenait pas était détendu, sourire aux babines (si, les chiens sourient) et semblait bien installé. Cet homme maîtrisait Francklin. Ce beau mec sorti de nulle part maîtrisait ce con de chien mal élevé. Il ne m’en a pas fallu plus pour craquer et reconnaître sa prestance.

Je me suis empressée de me lever, j’ai rangé mon pyjama dans mon jogging pour qu’il ne dépasse plus, remis mes cheveux sales dans ma casquette et recoiffé mes sourcils pour essayer de sauver les meubles.

Il a fini par arriver devant moi, me demandant si ces chiens m’appartenaient et c’est à ce moment, pour l’amour de l’amour, que, gênée, alors même que leur odeur imprégnait mes vêtements et que les poils qui les recouvraient indiquaient de toute évidence qu’ils étaient miens, j’ai eu honte. Tellement honte que je n’ai pas osé avouer la vérité tandis que les trois me faisaient la fête, heureux de me retrouver. Tellement honte que j’ai laissé l’homme appeler la SPA pour venir chercher ces chiens qu’il disait errants. Tellement honte que j’ai insulté avec lui les gens qui les avaient probablement abandonnés. Tellement honte que j’ai fini par lui affirmer que je pouvais moi-même les emmener chez le vétérinaire pour qu’ils vérifient s’ils étaient pucés, parce que, je cite : « Je dois emmener mon chien, alors autant en profiter. »

C’est ainsi que ce jeune homme m’a laissé récupérer ces deux chiens, qui étaient bien évidemment les miens, et que, surtout, il m’a donné son numéro afin que je puisse le tenir au courant de ce qui se passe pour ces deux bêtes. Et, là où j’aurais pu arrêter de mentir et ne plus jamais recroiser cet homme, le soir même, clito qui frétille et cœur qui palpite, j’ai envoyé un message pour lui annoncer que les toutous avaient retrouvé leur propriétaire. Je n’ai jamais obtenu aucune réponse et je me suis efforcée d’éviter la forêt pendant les cinq jours restants, priant pour qu’il ne me voie pas en pleine promenade. Je n’ai donc toujours pas trouvé l’amour, ce jour où j’ai gardé trois chiens.