27 février 2024. Mon anniversaire pour la 33e fois. 33 ans. Plus les années passent et moins j’ai envie de le célébrer. D’abord, parce que mon visage vieillit à vue d’œil, que mes rides gagnent des centimètres et que les bourrelets s’entassent un peu plus dans mon soutien-gorge. Puis, et surtout, parce que je deviens aigrie. Aigrie de la vie, aigrie de l’amour, aigrie du quotidien que je trouve de moins en moins fun.
Pourtant, je n’ai pas à ma plaindre. J’ai de la chance. Je suis entourée d’amour, j’ai un taf que j’adore et je suis libre de faire presque tout ce que je veux, quand je le veux. J’ai de la chance. Seulement, le temps qui passe me fait peur. S’il me fait peur, ce n’est pas tellement pour le côté vieux crouton qui va devoir se faire essuyer le cul dans une maison de retraite qui coûte plus cher qu’un SMIC. S’il me fait peur, c’est pour tout le reste, ce qui se passe à l’intérieur. Les regrets, les remords, les déceptions de la vie, les malheurs et la dureté du monde. Aigrie, vous dis-je. Si chaque année me rajoute un niveau d’aigritude (il faut l’inventer, ce mot), à quoi bon continuer de fêter son anniversaire ? À 35 ans, je regretterai peut-être de ne toujours pas être en couple. À 40 ans, je m’en voudrai de ne pas avoir d’enfants. À 45 ans, de ne plus être capable de marcher plus d’une heure sans perdre un poumon. À 50 ans, de ne pas avoir baisé plus. À 55 ans, de ne pas être grand-mère. À 60 ans, d’avoir envie d’en finir alors qu’il est encore trop tôt. Je deviens aigrie, et ça ne va pas aller en s’arrangeant.
Alors, il y a quelques jours, à la question « Tu veux faire quoi pour ton anniversaire ? », j’ai répondu « Rien ». Rien, comme « S’il vous plait, pas de surprise, pas même de cadeau ou de gâteau ». J’en étais à ce niveau. Puis, j’ai essayé d’être de nouveau cette Noëllie qui aime qu’on la célèbre, celle qui a carrément créé la semaine d’anniversaire, celle qui, un mois avant, en parle déjà. Oui, je suis devenue cette Noëllie, et dans sa tête à elle, tout semblait plus simple. Ou plus fake. Mais ce qui était sûr, c’est que j’aimais ce jour.
Ainsi donc, j’ai rétabli la légende. D’abord, durant la semaine qui précédait mon anniversaire. J’ai commencé par passer chez le coiffeur pour qu’il dompte ma perruque, puis j’ai foncé sur Vinted pour m’acheter des tenues dans lesquelles je me sentirais à l’aise et, enfin, j’ai préparé une fête. Ou plusieurs fêtes.
Une première avec ma famille. Quelques jours avant mon anniversaire, je l’ai conviée à Paris, capitale de l’amour et des rats.
On a débuté avec un restaurant : Le Mama. Lui, il te promet des pizzas et l’accent italien qui va avec. Il te promet aussi une sérénade à la guitare si c’est ton anniversaire. Et rien que ça, c’est un cadeau. Car devant moi, j’avais quatre hommes, plus italiens les uns que les autres, bruns ténébreux, chemise ouverte accentuant le cliché. Un joli cliché. Un joli cliché qui a des poils qui dépassent. Un joli cliché qui a des poils qui dépassent et que je rêvais d’arracher avec mes dents. Ils m’ont emportée… jusqu’à ce qu’ils sortent, car ils ne perdent pas de temps et qu’il faut un sacré rendement. On a filé vers une autre aventure.
Une que j’adore : un escape game. En famille, ce genre d’activité peut rapidement tourner au drame, et à juste titre.
Communication, entente, calme et discipline. Voilà ce qu’il faut pour réussir. Voilà ce que nous n’avons pas du tout. Dans ma famille, on parle fort, on parle vite et parfois, on parle pas. La parfaite équation pour échouer à un escape game. Mais, la famille, on la connait. Et si ma mère et moi étions plus prêtes à rigoler qu’à trouver pourquoi nous étions enfermées dans cette pièce sombre et fantastique, ma sœur et mon père, eux, comptaient bien résoudre le mystère… et nous faire passer un bon moment. Car si mes aisselles noyées par le stress se le rappellent encore, ce que mon cœur retient surtout, c’est le souvenir de nous quatre, célébrant non pas mon anniversaire, mais la vie.
C’est aussi ce que j’ai pu constater avec mes amies. Bien sûr, je n’en ai pas convié mille. Déjà, parce que je n’en ai pas tant et surtout, parce que je n’aime plus célébrer mon anniversaire. Cf. tout ce que je vous ai raconté avant. Oui, mais mes copines, elles, elles s’en tapaient. Je devais le fêter. C’est pour cette raison que ma meilleure amie et mon amie d’enfance ont posé leur 27 février pour le passer avec moi. J’ai eu droit à des surprises, des gâteaux gourmands, des rires et beaucoup d’amour. Bien sûr, j’aurais préféré que l’amour, ce soit mon ex qui n’est pas mon ex qui m’envoie un message pour me dire que je suis la femme de sa vie et qu’il va venir me
bloquer contre un mur toute la nuit pour me le prouver. J’aurais préféré que l’amour, ce soit ça. Mais non, l’amour, ce 27 février, c’était mes copines. Jusqu’au rebondissement… Car si j’ai peu d’ex, j’ai beaucoup de crushs. Beaucoup. Beaucoup au point de ne plus m’en souvenir. Et si certains n’ont pas osé tenter le jour de l’An ou la Saint-Valentin pour refaire leur come-back, le jour de mon anniversaire semblait être une bénédiction. C’est ce que j’ai constaté quand, devant ma porte, j’ai trouvé un énorme bouquet de fleurs. Dans ma tête, j’y ai réfléchi, longtemps.
Qui avait bien pu m’envoyer ces roses rouges ? Et d’un coup, il est revenu dans mon viseur : Boubou.
Boubou, c’était le monsieur qui s’occupait des poubelles lorsque j’habitais à Paris. Moi, j’ai toujours été une gentille, donc quand il bossait, à savoir vidait nos déchets, je prenais le temps de le saluer et de lui adresser quelques mots. Mais pour Boubou, c’était de la drague. Un jour, en rentrant chez moi, j’avais trouvé un gros bouquet de roses. Forcément, j’avais été touchée. Même si à ce moment, j’étais en couple et que j’étais persuadée que ça venait de mon mec. Logique. Mais non, c’était Boubou. Sauf que Boubou, il m’intéressait pas du tout. Mais vraiment pas. Puis, Boubou, soyons honnêtes, il faisait flipper. Une fois, je l’ai trouvé derrière ma fenêtre à m’observer et souvent, il tapait à ma porte de manière insistante. Alors, en voyant ce gros bouquet, alors même que j’avais déménagé et qu’il n’était pas supposé connaitre ma nouvelle adresse, j’ai flippé.
J’ai imaginé Boubou débarquant en camion-benne, traversant la capitale pour arriver à la campagne, trouver ma maison et y déposer un bouquet, presque cinq ans après.
Immédiatement, j’ai attrapé mon téléphone et je lui ai écrit un message – car oui, j’ai le numéro de Boubou. En réponse à celui-ci, j’ai reçu un « Tu es qui ? » assez logique après tant d’années. Histoire qu’il ne me prenne pas pour une conne, j’ai envoyé une photo, directement, avec mon plus beau sourire. Et là, comme une ride qui s’ajoute, comme la 33e année qui s’installe, comme la vieillesse qui se confirme, Boubou m’a balancé, oubliant la jeune qu’il avait tant désirée : « Ahhhh ouais, Noëllie, tu as pris un coup de vieux, je t’aurais pas reconnue ! »
Je n’ai jamais su qui a envoyé ces fleurs, et, pour préserver mon cœur, je n’ai pas même tenté de le savoir. J’ai conservé les moments de joie de ce 27 février, ceux avec ma famille, ceux avec mes amies, ceux avec des gens qui ne me disent pas que je vieillis mal. J’ai fait ce que j’ai pu pour ne pas être aigrie, malgré tout, ce jour où j’ai fêté mes 33 ans.