Ce jour où je ne suis pas partie au Sénégal
30 avril 2023. Ou peut-être quelques jours avant. Encore une fois, dans ma messagerie Instagram, des opportunités de fou. Ce coup-ci, c’était une copine qui me contactait pour, je cite, savoir si j’étais « intéressée pour aller au Sénégal ». À cet instant, j’étais chez des potes en train de raconter que j’avais une chance incroyable de partir en Équateur. Et maintenant… c’était le Sénégal. J’étais comme une folle. Sans aucune hésitation, sans même savoir de quoi il s’agissait, j’ai accepté.
J’ai accepté car, d’abord, l’organisatrice était une de ces femmes qu’on admire, qui impose le respect, la confiance et qui respire la force ; je l’avais rencontrée brièvement et elle m’avait inspirée.
Cette personne, je l’avais déjà vue à la télé, mais aussi lors d’évènements où elle avait été invitée à parler de son parcours surprenant. J’étais conquise. C’était une sacrée nana… jusqu’à sa chute dans mon esprit.
Et puis, j’ai aussi accepté pour le projet. Sans le citer, il avait pour vocation de faire briller l’Afrique, de montrer son pouvoir, sa richesse, ses promesses et, par la force des choses, de casser les préjugés dont elle peut être victime.
J’aimais tout. Tout ce qu’on m’annonçait. Je voulais en faire partie et je voulais, à mon échelle, promouvoir l’évènement, mais surtout ses valeurs.
J’ai accepté. Et je n’allais pas être déçue.
Quelques semaines se sont écoulées, et je n’avais reçu qu’un mail me demandant mes informations de voyage. Logique. Mais après mon retour d’Équateur — ce voyage incroyable et parfaitement organisé (oui, je le souligne) —, à vingt jours du départ pour le Sénégal, je n’avais pas eu de nouvelles. J’ai relancé pour réclamer mes billets, et on m’a promis que je les recevrais bientôt. Pour être honnête, je ne m’inquiétais pas. Car, bien que cela renforce les clichés que je déteste tant, j’avais conscience qu’il n’était pas question du même pays et de la même culture. Et puis, je voyais les stories de l’organisatrice principale qui nous vendait du rêve, des paysages somptueux et qui semblait tout gérer avec brio. Je ne m’inquiétais pas, donc. Mais voilà, quelques jours ont passé, les billets n’étaient toujours pas dans ma poche et le programme pas encore annoncé. Je ne savais pas. Bien évidemment, et sans être faux-cul, j’acceptais le deal. Je me faisais une joie d’aller au Sénégal et j’étais prête à faire quelques compromis, quitte à me stresser un peu niveau organisation.
Car, même si j’avais conscience de la chance incroyable que cela représentait et que la promesse était largement à la hauteur, ce voyage presse n’était pas payé.
Et il me fallait, en plus de la non-rémunération, bloquer cinq jours pour me focus sur l’évènement. Logique toujours, et évidemment qu’une fois encore, j’acceptais. Malgré tout, cela nécessitait de l’organisation — même si moi, je n’ai pour responsabilité majeure qu’un chien borgne. Alors forcément, à deux semaines du départ, je me suis permis de relancer, toujours dans le respect pour ne pas me faire dégager du programme et en léchant des culs pour recevoir mes billets. Ne nous mentons pas. Mais, avec pour seule réponse « Nous vous les enverrons bientôt », j’ai commencé à sentir la merde. Alors, comme l’agent secret que je ne suis pas, je me suis mise à chercher des infos… Et, dommage pour l’organisatrice, les infos, elles sont facilement accessibles dans le monde de l’influence.
Pour vous refaire le contexte, il y avait deux vagues d’influenceurs qui avaient été contactés : une première qui partait le 25 mai, et une seconde qui partait le 1er juin. Dans mon cas, j’avais demandé un vol le 2 juin pour des raisons personnelles qui m’empêchaient de les rejoindre à la date prévue. Au début de mon enquête, nous étions donc le lundi 22 mai, quelques jours avant le départ de la première vague.
Sur le site internet de l’organisation, j’ai déniché quelques infos sur les autres participantes. Bingo, à côté de ma gueule, j’ai trouvé une influenceuse que je connaissais, au moins de nom. Sans hésiter, je lui ai envoyé un message, message composé d’un vocal bien huilé qui, en résumé, demandait quelle était la situation de son côté. Et là, la supercherie a commencé à se dévoiler. Car ma collègue, que nous appellerons Bérénice, elle était à bout. Elle, elle partait quatre jours après et… n’avait toujours pas ses billets. Impossible pour elle de s’organiser, de laisser ses enfants, de prendre son hôtel pour la veille ou même son train. Elle n’avait rien. Autant vous dire que moi non plus. Mais le pire arrivait… car c’est le mercredi soir, à minuit, qu’elle a reçu son billet pour le lendemain. Cela étant dit, ce n’est finalement pas le pire : certains, toujours d’après une source très sûre (sinon, il est évident que je n’en parlerais pas…), n’avaient même pas leur billet le jour du départ ; d’autres ont dû le payer de leur poche puis se faire rembourser, et d’autres encore ne sont tout simplement pas partis, qu’il s’agisse d’influenceurs, de speakers ou de participants. Bref, je comprenais petit à petit que mes billets étaient toujours bien loin.
À ce moment, le Sénégal n’était pas en proie aux manifestations. D’ailleurs, à ce moment, personne ne nous en parlait. Et les bruits de couloir m’ont bien confirmé qu’elles n’étaient en aucun cas la raison de quoi que ce soit.
Mais moi, j’espérais. Car encore une fois, j’ai l’honnêteté de dire que oui, qu’importe l’organisation, si j’avais eu mes billets, j’y serais allée, j’aurais profité et bien comme il faut. Un voyage au Sénégal offert, c’est qu’une fois dans une vie. Et pourtant… Pourtant, sur place, rien ne semblait faire rêver. Bérénice était mes yeux et mes oreilles, comme d’autres. Là-bas, la plupart des activités étaient annulées par manque de budget, ou alors annoncées en fin d’après-midi, obligeant les invités à patienter toute la journée à rien foutre en attendant une update. Encore une fois, il n’était pas question de manifestations et, qui plus est, celles-ci ne se passaient qu’à Dakar, la capitale, à une heure de l’hôtel et du lieu de l’évènement. De mon côté, je n’avais pas encore mes billets et je comprenais qu’ils s’éloignaient de plus en plus. J’ai appris que l’inauguration avait été reportée de quelques jours, sans aucune explication valable, et que, le jour de l’ouverture, beaucoup de stands étaient vides.
Encore une fois, tout ça, je l’excusais. Puisque, toujours, j’avais très envie de découvrir le Sénégal, et surtout, j’étais indulgente. Indulgente, car je salue la démarche d’entreprendre, de créer, de donner de la visibilité et de la force. Je salue le travail et la volonté que représente un tel évènement. Je déplorais le déroulement, mais je relativisais. « Oui, l’organisation est merdique, mais ils essayent. » Et puis, il me restait encore cinq jours avant le départ, et le secrétariat me l’avait dit : « On revient vers vous ce week-end. » Pourtant, dimanche, toujours rien. « Lundi est férié, mais nous vous donnons votre plan de vol mardi, vous aurez vos billets 24 h à l’avance. » J’acceptais, par opportunisme et engouement total pour ce projet.
Puis, la désillusion le mardi, à trois jours du départ. Le mail. Le dernier que j’ai reçu.
Celui qui annonçait des manifestations, manifestations qui n’impactaient en rien la situation, à en croire les influenceurs avec qui je parlais et vous qui étiez aussi sur place. Le mail qui nous expliquait que notre départ serait « différé de quelques jours ».
Après ça, j’ai compris. Je suis restée polie, mais j’ai compris. J’ai compris qu’ils n’avaient pas le budget, qu’ils s’étaient mal organisés et que les manifestations étaient aussi un argument valable pour annuler notre venue, tandis qu’à cet instant, il n’était même pas encore question de la catastrophe qui a suivi. Alors certes, certains penseront qu’ils ont simplement bien géré et qu’ils ont anticipé pour notre sécurité. Sans doute, et je les en remercie. Mais d’autres sauront que, manifestations ou pas, nous aurions dû avoir nos billets bien avant. Que, manifestations ou pas, les stands étaient vides et auraient dû être réservés des mois plus tôt. Que, manifestations ou pas, on envoie un mail d’excuses en annulant les venues et qu’on ne laisse personne dans le silence. Que, manifestations ou pas, les activités sur place n’avaient aucune raison d’être annulées plusieurs jours avant.
Mais le plus drôle vient encore par la suite, lorsque j’ai partagé mon point de vue sur les réseaux et que l’organisatrice, celle que j’admirais quelques semaines plus tôt, a finalement réagi en déclarant qu’elle n’aimait pas mes stories et qu’elle allait m’appeler. Elle ne m’a jamais appelée. Elle m’a simplement dit sur Insta que je n’avais rien compris à son évènement, à ce qu’elle défendait. À cela, je lui ai fait une dizaine de vocaux pour lui balancer clairement que le monde lui léchait le cul par crainte et critiquait son organisation, mais que personne n’osait le lui dire en face ; qu’elle utilisait les malheurs des manifestations pour cacher l’échec de son évènement plutôt que de simplement le reconnaitre sans honte ; qu’elle manquait de respect à tous alors qu’elle n’était même pas capable de s’excuser ; et que je devais, comme une enfant, passer par les réseaux sociaux pour régler mes comptes et ENFIN avoir un signe de vie. Je n’ai jamais eu de réponse. Si ce n’est une story qu’elle a faite, dans laquelle elle parlait pour tous, mais, bizarrement, je me suis sentie visée : elle disait que certains (moi ?) avaient trop d’égo pour se rendre compte de la chance qu’ils avaient d’être en sécurité chez eux. Elle me faisait passer pour une petite conne capricieuse qui râlait parce qu’elle n’avait pas eu son voyage. L’opposé de qui je suis. Moi, ce que je demandais, c’était juste du respect et de l’honnêteté. Comme dans tout ce que je fais. Comme dans ce que je suis en train d’écrire.
Le problème n’était évidemment pas de ne pas partir, même si j’étais déçue. Au contraire, je saluais la démarche si les manifestations étaient la vraie raison… Le problème, c’était le manque de respect.
À ce jour, je n’ai toujours pas eu un seul message d’excuses, pas même un mail pour m’indiquer que le voyage a été annulé. En revanche, j’ai vu un article sur LinkedIn d’une personne sur place, exposante, qui se plaignait de ne pas avoir été payée pour les œuvres qu’elle y a laissées. J’ai lu des commentaires sous ce même post de nombreux participants qui déploraient ce manque de professionnalisme. J’ai écouté les stories d’une femme de 40 ans qui prétend défendre des humains alors qu’elle les traite comme des merdes. J’ai eu des échos sur un évènement chaotique dénué de tout respect. J’ai entendu les paroles d’une personne qui promettait de prendre le temps d’envoyer un mail lorsqu’elle en aurait l’occasion parce que trop débordée, mais qui, ce même jour, a passé quinze minutes à regarder mes stories inintéressantes, et qui, bizarrement, aurait pu utiliser ledit temps pour simplement faire son travail, à savoir communiquer sur son évènement auprès de ses invités. J’ai reçu beaucoup d’anecdotes, avec preuves, que je ne citerai même pas et qui pourraient faire beaucoup plus mal…
En bref, les apparences sont vraiment trompeuses, mais je suis trop heureuse pour perdre du temps avec ces gens qui, dans le fond, doivent être bien tristes de ne pas être ceux qu’ils prétendent (mais le temps, je l’ai quand même pris pour en faire une nouvelle potins. Faut pas déconner non plus). C’est ce que j’ai appris, le jour où je ne suis pas partie au Sénégal.