
Jeudi 25 septembre 2025. Un jeudi gris, un jeudi froid, un jeudi qui met déjà dans une ambiance glauque. Il est 18h, c’est l’apéro, et Gérard ne loupe jamais une bonne occasion de sortir le pastis. Et de raconter de la merde à ses enfants. Béatrice et François, une jeune fille d’une dizaine d’années à la personnalité joyeuse bien que chiante et d’un jeune garçon de 7 ans tout aussi souriant mais relou que sa sœur, écoutent d’une oreille non attentive les discours enivrants de leur père.
Cette fois, c’est un certain Raoul qui fait parler de lui. Raoul, un mec qu’on pourrait penser vivre dans le désert marocain avec ses chameaux, surtout si on est une personne un poil dans les clichés. Il n’en était rien. Raoul, il semblait bien plus louche. C’est en tout cas ce qu’ont compris le duo d’enfant, lorsque leur père, un peu bourré, a sorti cette phrase : « Raoul Hosman, l’homme qui vit au 13 rue du cimetière, a été retrouvé couché sur une tombe. Il prétend avoir vu des fantômes, des squelettes et des revenants danser près de la chapelle où l’on enterre les petits enfants morts. »
A priori, il semblerait que Gérard ne connaisse pas la méthode Montessori tant il est évident que raconter ce genre de choses à des gosses n’est pas le plus intelligent. Surtout lorsqu’on veut qu’ils s’endorment rapidement pour arrêter de casser les couilles. Mais non. Évidemment. Avec ce genre d’histoire, il était certain que Béatrice et François passeraient un temps fou à débattre sur ce qu’ils avaient entendu. D’abord, ils se demandaient s’il existait vraiment des fantômes dans le cimetière et puis, ils finissaient par se dire qu’ils aimeraient bien les voir, ces fantômes. Logique. Heureusement pour eux (pour les gosses, et pour les fantômes qui n’avaient rien demandé), ils étaient bien trop peureux pour y aller en pleine nuit.
Le lendemain, Béatrice et François jouaient dans la plaine de jeux avec pour seule consigne de rentrer avant la tombée de la nuit. Après une folle journée à glisser sur le toboggan, à se mettre du sable dans le cul puis à le manger, les deux enfants quittèrent l’aire de jeux comme convenu pour rejoindre leur maison. Ils longeaient les villas, constataient que les lumières étaient déjà allumées dans certaines d’elles et hâtaient le pas. Jusqu’à ce moment. Ce moment où, au coin de la rue, une plaque indiquait « Rue du cimetière ». Rue du cimetière. La rue où Raoul vivait. La rue où le mec chelou qui se couchait sur des tombes pour voir des fantômes, des squelettes et des revenants danser près de la chapelle où on enterre les petits enfants morts, dort.
Sans surprise, et bien qu’apeurés, François et Béatrice suivirent la rue du cimetière jusqu’au fameux numéro 13. À cet endroit, il n’y avait que peu de lumière et par conséquent, il faisait déjà bien noir. Déception, les enfants ne pouvaient pas voir grand-chose. Ils allaient faire demi-tour, mais Béatrice proposa d’aller jusqu’au bout de la rue, celle qui menait à la porte d’entrée principale du cimetière, dans le but de gagner du temps. Il faisait froid, et si François se chiait dessus à l’idée de traverser un cimetière, il n’avait qu’une envie, rentrer au chaud.
Et puis, la lune brillait, elle était presque pleine : il ne ferait pas totalement noir. Heureusement. Car autour d’eux, l’ambiance était tout de même mortuaire.
Un hibou qui hululait, des pierres tombales qui jonchaient le chemin, le vent qui sifflait dans les branches des cyprès et l’obscurité oppressante qui laissait apparaitre des ombres maléfiques. Et si ce n’était pas que des ombres ? Et si c’était les fameux fantômes dont parlait Raoul ?
François et Béatrice s’activèrent jusqu’à la seconde grille, celle permettant de sortir du cimetière de l’autre côté, pas loin de chez eux. Malheur : elle était fermée par une chaîne, terminée par un cadenas et bien sûr, ils ne disposaient pas de clé. Il était impossible de sortir : ils n’avaient d’autre choix que de faire demi-tour. Un demi-tour qui supposait de repasser par ce chemin horrible et de recroiser les ombres maléfiques. Le gravier crissait sous chaque pas comme le grincement des dents d’un mort. Ce mort qui était probablement autour d’eux. Le vent soufflait, toujours plus fort, chuchotant à leurs oreilles. Soudain, un craquement sous le pied de Béatrice.
Et si c’était le doigt d’un squelette ? Elle n’eut pas le temps de regarder, interrompue par le faisceau d’une lampe de poche. Dans l’allée latérale du cimetière, un homme s’approchait. Salopette grise de travail et veste de travail sur laquelle on pouvait distinguer une plaquette sur laquelle était écrite « R. Hosman ». Il était là, l’éleveur de chameaux. Ou le dompteur de fantômes.
Il glissa la main dans sa poche et sortit un large anneau en fer sur lequel pendaient deux clés.
- Voici celle de la grille Sud, fermée par chaîne et cadenas, et l’autre à quoi sert-elle ?
Raoul, le genre de con qui pose les questions dont deux enfants ne peuvent pas avoir la réponse. Devant leur silence, Raoul continua :
- Cette seconde clé, c’est la clé de la grille Nord que je viens de refermer. Si vous voulez sortir de ce cimetière, il faut mériter cette clé. Suivez-moi, je vais vous montrer quelque chose…
Le pas boitant, Raoul les emmena dans l’allée latérale, éclairant d’un rayon furtif les tombes à gauche et à droite. Ils arrivèrent à une simple chapelle en pierres grises, porte entrouverte, laissant la vue sur un escalier qui descendait dans la profondeur de la nuit.
Raoul continua son chemin, les invitant à descendre, toujours en boitant. Béatrice et François étaient terrorisés, encore plus à la vue des cercueils qui, sur chaque côté, formaient deux étages, le tout dans une odeur de moisi et de pourri difficilement tenable. Mais le pire, c’est que l’un d’eux était presqu’ouvert.
- Je n’arrive pas à le fermer, il est trop rempli, précisa Raoul avant de poser les clés sur ce même cercueil.
Sans rien ajouter d’autre, Raoul remonta l’escalier avec difficulté et laissa les enfants, seuls, devant cette clé posée sur ce cercueil entrouvert. D’une main tremblante, François attrapa le trousseau avant de se précipiter pour quitter le cimetière. Devant la grille cadenassée, ils introduisirent la clé qui s’ouvrit sans difficulté. Enfin. Enfin, ils étaient libres. Avant de fuir, ils refermèrent de nouveau cette grande grille et jetèrent les clés dans l’allée centrale, pour être certains que personne ne les suivrait, vivant ou mort, puis se réfugièrent chez leurs parents.
Effrayés, les parents appelèrent immédiatement la police, une fois l’histoire contée par les enfants. A cette anecdote, la policière répondit :
- Ce qui est étrange, dit une inspectrice qui dirigeait l’équipe, c’est que Raoul Hosman se trouve pour l’instant dans nos bureaux. Il ne pouvait donc pas se promener au cimetière. Et puis, cet homme ne boite pas…
Qui était donc cette personne que les enfants avaient rencontrée ? Pourtant, ils avaient bien vu le « R. Hosman » sur la salopette. Au téléphone, la policière entendait les précisions des enfants et ajouta, presqu’avec ironie, ne les prenant pas au sérieux :
- Raoul avait un frère, qui lui aussi travaillait au cimetière mais il est décédé il y a 5 ans. Il s’appelait Raymond. Raymond Hosman…