Jeudi 7 décembre 2023. Ma tête était tout aussi légère que ma main qui, de toute évidence, n’avait pas assez de force pour immobiliser ma voiture. Il faut dire qu’à ce moment, j’étais dans le flou.
D’abord, je venais de me briser le cœur, seule, comme une grande.
Puis, ma meilleure amie, elle aussi, traversait l’une des phases les plus compliquées de sa vie, si ce n’est la pire (cf. « Ce jour où j’ai fait de la coloc’ » si tu as pas la réf.). Enfin, nous étions à quelques jours de Noël, l’une des périodes les plus intenses de l’année, et j’étais noyée sous mes box de Nonoël et autres offres farfelues que, quelques mois avant, j’avais trouvées brillantes. Bref, ce jeudi 7 décembre 2023 m’imposait une charge mentale telle que l’arrivée d’une amie d’enfance, Jeanne de son prénom, pour un petit week-end entre copines, ne tombait pas vraiment bien. Évidemment, je me faisais une joie de passer du temps avec elle. Là n’était pas la question. Mais, je le reconnais, ma tête était bien ailleurs que dans une soirée pyjama.
Pourtant, ce jeudi 7 décembre, elle a débarqué à la gare, prête à attaquer directement avec une grosse raclette. Alors, j’ai enfilé mon masque du Nono Show, plongé les patates dans l’eau bouillante, sorti les cacahuètes pour l’apéro et partagé mes actualités, bien que tristes. La soirée a démarré, les rires se sont échappés avant d’être interrompus par un bref frappement sur l’une des fenêtres du salon. Là, le souvenir de mon cambriolage m’est revenu en pleine gueule (cf. « Ce jour où je me suis fait cambrioler »). Et si on en voulait encore à mes sex-toys ? Puis, puisqu’on ne voyait personne, on a pensé à un esprit. Eux aussi, ils se masturbent ? Et sans avoir le temps de réfléchir à la réponse, j’ai entendu le même bruit sur ma porte d’entrée.
J’ai ouvert, un poil effrayée, sans vraiment de raison. Devant moi, mon voisin, un peu surpris, voire inquiet. « Tu sais que ta voiture est au milieu de la route ? »
Non, je ne savais pas que ma voiture était au milieu de la route, mais force était de constater que, oui, elle se trouvait juste en bas de mon garage. Tête en l’air, je vous ai dit. J’avais oublié mon frein à main et, par conséquent, ma voiture s’était prise pour la Coccinelle et vivait sa vie en solo. Heureusement pour elle – et surtout pour moi –, il n’y avait eu aucun dégât. Aucun chien fou, chat sauvage ou mamie qui s’était fait écraser par mon bolide. Jusqu’ici, une simple anecdote dont nous avons rigolé pendant quelques minutes. Mais ce que nous n’avions pas prévu, c’était que cette anecdote se renouvellerait. À peine 24 h après.
Le lendemain, vendredi 8 décembre donc, ma tête était toujours autant en l’air. J’ai foncé à la Poste pour envoyer les commandes, à Mondial Relay pour livrer les box et dans la forêt pour que Gégé puisse poser son trésor anal. Puis, en revenant, j’ai refait la même boulette. La même boulette. Mais cette fois, j’ai assisté à la scène qui m’a glacé le sang. J’ai vu la voiture sortir du garage, en pleine journée, au milieu d’un camion et d’une autre voiture, puis prendre de la vitesse avant de s’écraser dans la barrière du voisin. Cette fois, l’anecdote était moins drôle. Premièrement, parce qu’elle m’a terrifiée. Les scénarii ne pouvaient pas s’empêcher de s’écrire dans ma tête, principalement celui où Gégé se trouvait derrière la voiture. Secondairement, parce que je devais me confronter à mes voisins.
À mes DEUX voisins. Car forcément, histoire de bien faire les choses, ma Fiat avait atterri sur le SEUL poteau qui était au centre de deux maisons.
Et si déjà, devoir sonner chez quelqu’un qu’on connait à peine et le déranger pour lui annoncer qu’on a foncé dans sa barrière est compliqué, le faire à deux reprises est un enfer. Je m’y suis donc confrontée, presque immédiatement histoire de faire passer la pilule. À gauche, c’était Gérard. Gégé pour les intimes. Il partait avec mes faveurs. Lui, il s’en foutait de sa barrière et m’a excusée presque instantanément, sans me demander réparation. Il faut dire que lorsque nous avons constaté les dégâts, nous avons remarqué que sa clôture était déjà abîmée, à quelques mètres de mon accrochage. Pour lui, donc, un trou de plus ou de moins, ce n’était pas vraiment important. À droite habitait Roro. Lui, c’était une autre histoire.
En même temps, quelques mois avant, un jeune bourré avait fait fausse route pour finir… dans son portail. Inévitablement, lui annoncer que j’avais pété la barrière JUSTE à côté du portail qu’il venait d’arranger, c’était délicat. Très délicat. Et, bien qu’il soit resté très gentil au vu de la situation, il me l’a dit : il voulait la réparer. Évidemment, la question ne s’est pas posée pour moi. J’allais au mieux prendre les frais à ma charge si le montant n’était pas trop important, au plus relou faire marcher l’assurance. J’assume mes responsabilités. Toujours. Enfin, presque…
Je suis rentrée chez moi, soulagée et fière d’avoir eu le courage d’affronter mes voisins, même si une barrière allait me plumer quelques jours avant Noël. J’ai repris le cours de ma vie, jusqu’au lendemain où, avant de monter dans la voiture, j’ai croisé la femme de Gérard. Une petite dame au sourire réconfortant, aux cheveux blonds attachés et aux lunettes qui mettaient en valeur des yeux bleus magnifiques. Une douceur. On a échangé quelques mots, elle a accepté mes excuses et m’a rassurée en me disant de ne pas me prendre la tête, que de toute manière, « la barrière était déjà abîmée », m’a-t-elle répété en me montrant le fameux autre trou. C’était vrai : sa barrière était déjà abîmée. Et c’était vrai : j’étais persuadée de n’y être pour rien.
Mais, à force de l’écouter parler, ses yeux se noyant dans ce second trou comme dans le néant de mon porte-monnaie, mon cerveau s’est finalement connecté. Ce deuxième trou n’était pas un hasard. Ce deuxième trou n’était pas une coïncidence. Ce deuxième trou n’était pas un deuxième trou. C’était un premier. Un premier fucking trou que j’avais fait avec mon premier oubli de mon frein à main. Tout m’est revenu en tête. Si, lorsque j’avais ouvert la porte, deux jours avant, j’avais constaté que la voiture était en bas de mon garage, c’était en réalité qu’elle avait rebondi sur la clôture de Gérard pour y faire un premier trou.
J’étais responsable de cet accrochage, comme du second.
Devant ma voisine, je suis restée figée, et dans ma tête, deux options. Celle de maintenir la version de la fille parfaite et honnête, ou celle de tout avouer concernant la première étourderie. Par égo plus que par souci d’économies, j’ai menti. J’ai menti, honteuse d’avoir à deux reprises laissé ma voiture provoquer un trou dans leur barrière. J’ai menti, pour sauver mon honneur. J’ai menti, ce jour où j’ai oublié le frein à main.
PS : Ceci est un secret, que peu de personnes doivent connaitre. Si vous êtes mes voisins ou les connaissez, merci de tout oublier de cette nouvelle.