Mardi 28 novembre 2023. Un malheureux mardi après que j’avais renvoyé un message à mon Voldemort et que cet enculé m’avait répondu que non, il ne voulait pas qu’on reprenne contact parce que j’étais une merde. À quelques mots près. Ce mardi que j’avais envie de passer sous la couette à pleurer, à regarder des photos de nous qui n’existaient pas, à écouter des musiques qui ne me rappelaient pas lui, car, de toute évidence, nous n’avions eu que trop peu de moments ensemble. D’où notre rupture. Aucune logique, je vous l’accorde. Ce genre de journée à faire du drama pour un mec qui n’en vaut pas la peine. C’était le mardi que j’avais prévu de vivre… mais ce n’était pas dans les plans de ma meilleure amie.
Ma meilleure amie, Ophé de son prénom, c’est autant mon âme que ma sœur. Elle et moi, c’est pour toujours. Et surtout pour tout
Depuis des années que nous nous connaissons, avant ce mardi, nous n’avions principalement vécu que des moments de joie. Évidemment, il y avait eu des petits couacs. Des ruptures, des déceptions et des peines. Mais surtout des rires, du soutien et de l’amour. Ensemble, on a tout fait. Les voyages à l’autre bout du monde, nos études, ou simplement les samedis soir devant la Star Ac’. Ophé, c’est ma safe place. Ophé, c’est un petit bout de femme forte, toujours positive, d’une loyauté à faire pâlir un chien, d’une dévotion incroyable et surtout d’une pudeur inégalable.
Alors, ce mardi de déprime, quand elle m’a appelée en pleurs, j’ai compris l’importance de la situation. Ophé traversait un truc grave, très grave. En quelques mots entrecoupés de larmes, elle m’a expliqué. C’était la fin avec son amoureux, celui avec qui elle vivait depuis huit ans et pour qui elle aurait sacrifié sa vie. Pour qui elle l’avait déjà fait. Et si je ne rentrerai pas dans les détails malgré les gossips croustillants car il s’agit de son intimité, je me permets tout de même de vous rappeler, Mesdames, que si tout comme nous, vous avez ce talent de vous oublier pour sauver l’élu·e de votre cœur, vous faites erreur. Vous pouvez aimer, mais jamais aussi fort que vous vous aimez vous. C’est ce que je lui ai dit lorsque, quelques heures après, je suis venue la récupérer chez elle, avec son chien et ses bagages. C’était dur. Très dur. Parce que la rupture n’était pas qu’une rupture. C’était une déchirure, de celles qui s’accompagnent de dingueries presque inimaginables, à tel point qu’on pourrait en faire un film. Ce qu’elle vivait, on ne l’avait pas vu venir. Personne ne l’avait vu venir. Et encore une fois, je tairai lesdites dingueries, mais croyez-moi, la vie nous réserve parfois des rebondissements que même les trampolines trouveraient trop intenses.
Toujours est-il qu’après plusieurs hésitations, retours dans son appartement, messages de désespoir et discussions à cœur ouvert, Ophé a pris la décision de venir habiter officiellement à la maison.
Alors que je n’avais pas envisagé cette option une seule seconde dans ma vie, je me retrouvais avec une colocataire. Moi, si indépendante, qui n’avais jamais vécu avec quelqu’un d’autre que mes parents et qui ne supportais personne, j’allais habiter avec ma meilleure amie.
À dire vrai, elle est l’unique personne que je peux accepter sur le long terme. On se connaît bien, très bien, et nos caractères sont parfaitement compatibles. Certes. Mais si nous avions déjà vécu toutes les deux pendant des semaines en voyage, jamais nous n’avions cohabité au quotidien. Encore moins en bossant ensemble. Car histoire de cumuler les plaisirs, Ophé avait quitté son job quelques semaines avant sa rupture pour me donner un coup de main. Un rêve pour nous deux… que nous n’avions pas imaginé combiner à une colocation.
Voici donc comment j’ai commencé l’année 2024. En coloc’ avec ma meilleure amie. Il faut avouer qu’au début, ça a été surprenant, car pour la première fois, je devais changer mes habitudes. Mon objectif était simple : je voulais qu’elle se sente chez elle, et pour ce faire, je devais réadapter ma vie. D’abord, j’ai rangé toute la maison. Vraiment. Pas juste en passant la serpillère et lavant les chiottes. J’ai vidé les armoires, celles de mon bureau qui allait devenir sa chambre, celles de la salle de bain pour qu’elle puisse y mettre ses six mascaras et même celles de la cuisine pour accueillir son robot cuiseur. J’ai acheté une nouvelle étagère pour les chaussures dans l’entrée et décalé le panier de Gégé afin de laisser une place à celui de sa cousine. Puis, on a appliqué au quotidien. Les matins où elle se réveillait plus tôt, les soirs où elle se couchait plus tard, les pipis de son chien sur mon lit, les discussions quand l’une avait envie de silence, les questions quand l’autre ne souhaitait pas en parler. Je n’étais plus jamais seule. Plus jamais. Et ce pour un temps indéterminé. Dans un coin de ma tête, j’ai paniqué. C’était donc ça, ma vie ? Avoir bientôt 33 ans et vivre avec ma meilleure amie ? Travailler de chez moi chaque jour sans avoir de bureau ? Ne même plus avoir d’intimité pour me mater un petit porno en toute détente ?
Et, alors que les insomnies frappaient mon cerveau et qu’il tournait en boucle, que je trouvais mon existence désespérante et bien loin de ce que la Noëllie de quinze ans avait pu imaginer, j’ai laissé la réalité refaire surface. Celle-ci, elle m’a montré la chance que m’offrait la vie.
D’abord, en me rappelant à quel point je suis une belle personne, toujours là pour les gens qu’elle aime (laissez-moi ; 2024, c’est très selflove). Puis, elle me permettait de vivre un moment unique, comme une petite bulle de bonheur, avec ma meilleure amie. Parce que désormais, chaque jour, malgré nos deux cœurs alourdis, nous sommes là l’une pour l’autre, nous trouvons le moyen de rire, et même de travailler ensemble. Alors certes, nous avons conscience que notre quotidien n’a rien d’ordinaire, mais nous chérissons l’instant présent, le seul qui importe.
Chaque matin, comme un mantra, nous nous le rappelons. Chérir le moment présent. Et si ce genre de phrase clichée est trop souvent répétée les influenceurs ou les tatoueurs, elle n’a jamais autant résonné dans ma tête que ces derniers jours. C’est vrai. Et c’est probablement notre seul moyen d’être heureuses. Car nous avons conscience que le passé est irrécupérable, et qu’aussi douloureux soit-il, il n’existe plus. Car nous avons conscience que le futur est imprévisible, et qu’il ne nous apporte que du stress et de l’anxiété. Car nous avons conscience que l’unique façon de sortir du lit, chaque jour, c’est de nous concentrer sur le présent. Celui que nous avons entre les mains, qui est parfois doux, parfois triste, parfois joyeux, parfois difficile. Il est comme il est, et certes, notre trentaine ne ressemble en rien à celle que nous avions imaginée, mais finalement, en vous écrivant ces mots devant un film de Noël, entourée de mes deux chiens et de ma meilleure amie qui bosse à mes côtés, je réalise qu’elle est exactement comme elle doit l’être : exceptionnelle.
C’est ce que j’ai compris, ce jour où j’ai fait de la coloc’.