Jeudi 7 mars. Je suis tombée, comme une addiction à la drogue, un besoin irrépressible de fumer une clope, une pulsion qu’on ne peut contrôler. Je suis tombée. Tombée dans une série enchaînée sans pause, binge-watchée en quelques jours, à peine stoppée pour aller pisser. Je suis tombée… sur La Servante écarlate.
Il faut dire qu’elle a tout, cette série. Déjà, elle est sortie il y a plusieurs années, et ça, ça me plaît. Car mon problème, c’est que cette addiction, elle ne touche pas que La Servante écarlate, elle concerne toutes les séries. Je suis une série addict. Lorsque j’accroche, j’ai besoin de dévorer les épisodes, de vivre avec les personnages, de ne penser qu’à ça. Mais forcément, les épisodes, il faut bien les tourner. En d’autres mots : les saisons ne s’enchaînent pas, et il faut attendre une année pour connaitre la suite. Un supplice. Un supplice et un affront à mon Alzheimer naissant qui ne se souvient jamais de rien. Alors, avec La Servante écarlate, j’ai été ravie de constater que les cinq saisons étaient disponibles, sans attente, prêtes à être englouties.
Cette série, j’en avais entendu parler. Il faut reconnaître que l’histoire est brillante. Si tu n’as pas vu ce chef-d’œuvre, permets-moi de te présenter June, ou devrais-je dire Defred, ou devrais-je dire Dejoseph. Oui, la gueuse a plusieurs noms, et pour cause.
June vit dans une société dystopique où les femmes sont soit de riches épouses de commandants réduites au silence, soit des poules pondeuses au service de ces mêmes élites. June, elle est un utérus sur pattes. Et si elle change d’identité, c’est qu’une fois la progéniture arrivée au monde, elle rencontre une autre famille pour à nouveau donner naissance. Évidemment, tout cela au nom d’une chose : la foi. Foi qui, sans surprise et à l’image de nos sociétés actuelles, est utilisée pour justifier des actes atroces, barbares et surtout, assoir le pouvoir d’une minorité qui maitrise l’entièreté de la population américaine. Un chef-d’œuvre pas si loin de notre réalité, finalement. Et c’est ce qui en fait toute sa finesse. Car dans cette série, on retrace la chute. Comment les femmes ont perdu petit à petit leurs droits, comment les hommes les ont asservies et comment la résistance tente de se frayer un chemin vers la liberté. Tout est incroyable de justesse. Mais tout est très dur. C’est ce qu’on m’a dit lorsqu’on m’a présenté la série. « Elle est incroyable mais elle très dure », avant d’ajouter : « Regarde-la quand tu seras bien dans ta tête. »
C’était le moment, le moment de démarrer : je n’étais pas en dépression et j’avais les cinq saisons en stock. C’est pourtant le hasard qui m’a ramenée à cette série. Le hasard qui portait le nom d’Iris Mittenaere. Bien loin, donc, de La Servante écarlate.
C’est grâce à elle, et surtout son reportage, que j’y ai repensé. Là encore, permettez-moi de faire une petite parenthèse. Comme une jeune femme particulièrement influençable, j’ai entendu sur les réseaux que la belle Iris et son homme très peu buvable, Diego, avaient sorti un reportage sur Prime Video. En tant qu’être faible et bien que luttant au maximum contre Amazon, j’ai cédé. Un jour de flemme, alors que je m’installais avec mon ordinateur pour bosser, j’ai voulu me donner de la force et ce documentaire semblait être un cadeau de l’univers. Il me fallait un truc bête, un truc facile à regarder, un truc qui ne m’apprendrait rien, un truc qui me passerait le temps et qui me garderait concentrée.
Triste réalité : ce reportage répondait à tous les critères (désolée, c’est pas gentil, mais c’est ma vérité. Qui plus est, j’ai maté tous les épisodes, bien que nuls, voire vraiment ridicules, et donc j’ai le droit de critiquer, car, quelque part, je lui ai fait de la moula). Mais alors, en quoi June et Iris se retrouvent-elles ? Prime Video, ma gueule. Parce qu’une fois mon abonnement payé pour le mois, j’en ai profité. Évidemment. Et c’est à ce moment qu’en scrollant sur la plateforme, je l’ai découverte, la série qui allait m’obséder.
J’ai accroché dès le premier épisode. Tout y était : les acteurs qui jouent à merveille, le scénario parfaitement huilé, la réalisation d’une douceur incroyable et la lenteur qui donne même de la saveur.
Je suis devenue une passionnée… qui ne voulait plus s’arrêter. Tous les jours, j’avais envie de regarder un épisode, puis deux, puis trois.
En deux semaines peut-être, je me suis retrouvée à la saison 3. Certes, j’aurais pu faire pire. Mais j’essayais d’être adulte, de ne pas annuler des rendez-vous pour enchaîner les épisodes, de ne pas sauter une session de sport pour June, de ne pas foutre ma carrière en l’air pour connaitre le sort de mes gos préférées. Je tentais de rester réaliste… au moins en apparence !
Car dans ma tête, j’y pensais constamment. Pendant un diner avec les copines, je me réjouissais à l’idée de rentrer me blottir dans mes draps devant un épisode. Pendant un appel professionnel, je songeais à la suite de ma série. Pendant un footing, je me demandais si écouter un podcast sur le sujet pourrait être intéressant. C’était tout le temps dans ma tête. Au point même d’en perdre la raison… Un jour, alors que mon téléphone devait probablement lire dans mes pensées, je suis tombée sur une publication qui a changé ma vie. Ou au moins ma cheville droite. J’ai vu cet artiste incroyable, qui était peut-être l’homme de ma vie, exercer son talent sur le poignet d’une autre, dessinant avec finesse ce qui résonnait en moi : « Nolite te Basterdes Carborundorum ». Cette phrase, traduite par « Ne laissez pas les bâtards vous broyer » et revendication puissante dans la série, a provoqué des frissons dans toute ma colonne jusqu’à mon orteil. Et c’est à ce moment que, dans un élan de folie, j’ai cliqué sur le profil de ce tatoueur, découvert qu’il était à Paris et, en un message, demandé un rendez-vous pour qu’il dépose son encre dans ma chair. Le jour même, constatant l’impatience et la passion qui m’animaient, il m’a prise « en urgence », m’a-t-il précisé.
Deux heures après, je me retrouvais pour la première fois sur le siège d’un tatoueur qui, à en croire les centaines de dessins sur son corps, était un habitué. Sans que je m’en rende compte, il s’est lancé. Aucune douleur, aucune difficulté. J’ai réalisé qu’il prenait ses libertés, que de ma cheville, il remontait sur mon mollet, pour le recouvrir entièrement. La phrase est devenue le visage de l’héroïne pour se transformer en celui du plus gros connard de la série. Sur ma jambe, j’avais l’intégralité du casting de La Servante écarlate, en passant même par tous ceux qui étaient morts. J’avais un cimetière sur le cuissot, et j’adorais ça. Je m’imaginais dans les congrès comme la plus fan des fans, reconnue comme celle qui aime le plus au monde cette série et qui ne vit que pour elle. Devant des milliers de personnes, je crierais : « Nolite te Basterdes Carborundorum » avant de retirer mon pantalon pour dévoiler cette œuvre d’art. Je serais la reine des servantes écarlates. Je serais June.
C’est ce que j’aurais pu devenir si je n’avais pas été en train de rêver. À bout de souffle, presque en sueur, je me suis réveillée en sursaut avec, en fond, un épisode de la fameuse série qui tournait en solo depuis une heure. Il était temps que je fasse une pause… ou que je termine vite La Servante écarlate. C’est ce que je me suis dit, ce jour où j’ai été addict à une série.