Mardi 7 janvier 2023. 19 h 01. Moi assise à mon bureau, Gégé dans son panier gavé à la pâté, mes doigts qui défilent sur le clavier et une pensée improbable. Une pensée pour mon ex. Le premier. Guillaume, de son petit prénom. Guitou pour les intimes. Et j’ai essayé de comprendre pourquoi, après presque quinze ans, il revenait dans ma tête.
Il y a quelques jours, j’ai vu une psy. Une psy quantique.
En réalité, je ne sais pas vraiment ce qu’est une psy quantique. Mais dans psy quantique, il y a psy. Et ça, je connais. L’idée du psy quantique, sauf erreur de ma part, c’est de vous écouter et de se connecter à vous. Comme s’il existait entre lui et vous un lien invisible, il plonge dans votre cœur, même à distance, et parle à votre place. Moi, sans surprise, mon cœur, il est facile de s’y noyer. Après une heure, j’avais une liste longue comme la bite de Rocco et de quoi réfléchir pendant des jours. Mais il y avait pourtant un mot qui avait retenu mon attention : Orangina. D’après cette psy, j’étais comme une bouteille d’Orangina. J’avais tellement secoué le bordel que la pulpe restait dans le bouchon — en d’autres termes, les ruminements dans la caboche — et n’arrivait plus à redescendre au niveau du cul, et donc à m’apaiser. J’avais tant réfléchi que je ne savais plus faire que ça, à mon grand détriment.
Et c’est ainsi que cette pulpe qui défonçait chaque cellule de mon cerveau a fait apparaître Guillaume dans ma vie. Et pour cause. Ce Guillaume — que nous pourrions appeler Paul pour protéger son image, mais comme je m’en tape de son image, je vais l’appeler Guillaume —, c’était un sacré connard. Bien malgré lui, j’imagine. Car quand nous nous sommes rencontrés, nous avions 17 ans. Et, malheureusement pour lui comme pour moi, à 17 ans, tu n’as pas beaucoup de recul sur les choses.
Reprenons depuis le début.
À 17 ans, au lycée, votre Nono nationale était donc amoureuse de Guillaume, le mec un peu stylé du bahut, bien que pourtant loin d’être un top model. Mais voilà, Guitou, il avait un truc. LE truc qui fait craquer les filles : la tchatche. Il savait parler, il avait du bagout et c’était bien la seule chose qui le sauvait. Même si ça m’arrache la gueule de le reconnaître, Guitou, il était charismatique, drôle et sûr de lui. Le genre de gars qui plaît à 17 ans. Celui qui se rebelle devant les profs, qui n’est bon qu’au sport et qui sèche le reste. Le badboy qui faisait craquer la Noëllie de 17 ans, pucelle, qui avait à peine embrassé un mec, qui était deuxième de la classe depuis toujours et qui n’aurait manqué un cours pour rien au monde. Et, coup du sort, comme dans ce qui aurait pu être un film romantique, je plaisais à Guitou. Après deux mois d’attente, décompte au bout duquel il a pu m’embrasser pour la première fois (me jugez pas), et des heures à m’autocoacher pour lui faire confiance, j’y suis allée. C’était fait. Janvier 2009 : Guitou et moi étions en couple.
Les six premiers mois ont été magiques. Le premier amour, celui qui te met des papillons dans le ventre au moindre texto, qui te fait mouiller juste quand tu le vois et devant lequel tu bégayes. Finalement, un amour tout court. Oui, mais avec le premier amour, il y a une chose qu’on n’a pas avec les suivants : l’innocence.
Moi, je donne en amour. Tout. Je suis ce genre de nana qui s’oublie complètement quand elle est piquée, qui ne vit que pour l’autre, qui fait mille surprises et qui réclame de l’attention H24. En réalité, je ne sais pas vraiment si j’ai toujours été comme ça ou si c’est lui qui m’a fait devenir cette meuf. Parce que Guitou, après nos six premiers mois de lune de miel, il a commencé à être con. Très con. Le genre qui te pousse à tout remettre en question. Mais pas dans ton couple. Non. Dans toi-même.
C’est à partir de ce moment que j’ai été mal ; ou, selon ses mots, j’ai été chiante. Car moi, je venais d’avoir le bac et je partais en médecine. Lui, il n’avait rien eu. Si ce n’est une petite dépression. Mais ça, à l’époque, je l’avais pas compris. Moi, je pensais que j’étais le problème. Et tu le vois arriver… Quand t’es amoureuse et que tu penses être le problème, tu deviens le problème. Parce que tu demandes de l’attention, tu demandes à être rassurée, tu demandes à être aimée. Sauf que l’autre — amoureux ou non — est incapable de t’apporter ça, car déjà pas capable de s’aimer lui-même. Mais ça, une fois encore, je n’en avais pas conscience. Alors intervient le pire : le cercle de merde.
Ce cercle, c’est un cercle qu’on connaît tous. Moins tu as, plus tu veux, plus tu réclames et encore moins tu as.
Ajoute à ça le fait que Guitou était particulièrement con, et tu tombes sur mon premier amour. Ce mec, il était déprimé, donc aujourd’hui, je suis capable de lui pardonner beaucoup de choses. Il passait ses journées enfermé chez ses parents, dans sa chambre, à jouer à des jeux vidéo ou au basket, à voir des potes et, rapidement, il a commencé à fumer. Bref, un joli sac de crotte dans lequel il s’était emprisonné. Mais, outre cette déprime qui le bouffait, il était méchant. Vraiment. Ce mec, il m’insultait régulièrement. J’étais une salope, une connasse, une pute. Moi qui, pour rappel, avais attendu un délai pour l’embrasser. On connaît plus efficace comme pute. Et puis, classique, tout était toujours de ma faute, je n’étais jamais supportable, « pas plus de trois jours en tout cas » et « surtout jamais les week-ends ». Et je me contentais de ça, moi qui étais déjà une meuf incroyable. À ce moment, j’étais en médecine, je travaillais comme une acharnée. Les étés, je bossais pour gagner de l’argent. Dès que j’avais un peu de temps libre, je l’aidais à trouver du boulot, à se bouger, à faire quelque chose de sa vie, à se sortir de la merde. Évidemment, je lui offrais des moments de pause, à lui et à nous. Je lui faisais des surprises que je payais avec mes économies et, en pleine semaine, je faisais une heure de route pour le voir, alors même que lui n’avait rien à foutre de ses journées. Bref, vous l’avez compris, j’étais dévouée. Et je me suis complètement perdue avec ce mec.
Avec lui, j’ai accepté d’être rabaissée, insultée, traitée comme une merde, alors que j’étais une bénédiction pour lui. Il m’aura fallu deux ans et demi pour m’en séparer. Et c’est lui qui est parti, car j’étais incapable de le faire. Évidemment, j’ai conscience que je ne méritais rien de tout ça, et que c’était probablement lui qui avait (tous ?) les torts. Malgré tout, il a laissé des traces. Traces qui, à cet instant avec ma psy, me sont revenues en mémoire.
Aujourd’hui, je reproduis les mêmes schémas.
Instinctivement, je me donne corps et âme dans une relation, comme pour être certaine d’être aimée. Instinctivement, j’en fais trop, même si on se fréquente depuis un mois. Instinctivement, j’en demande beaucoup, comme pour combler ce que l’autre n’a pas su me donner. Instinctivement, je mets le mec sur un piédestal, comme pour ne pas lui faire de l’ombre. Instinctivement, je me fais des films, sans pouvoir imaginer qu’un homme m’apprécie vraiment. Instinctivement, j’oublie. J’oublie que si ce mec en face s’intéresse à moi, c’est parce que je suis une incroyable nana, une fille au grand cœur qui donne n’importe quoi pour ceux qu’elle aime, une femme bienveillante qui n’écrase pas l’autre pour réussir, une personne imparfaite qui fait du mieux qu’elle le peut pour rendre le monde meilleur, une cheffe d’entreprise brillante qui a tout construit seule (avec vous, ma vie, mes puces, mes bébés <3).
J’ai toujours eu honte de ne plus être la Noëllie que j’aime quand je suis amoureuse. J’ai toujours eu honte parce que j’aimerais garder mon indépendance, ne pas m’attacher trop vite, ne pas être complètement gaga après quelques semaines seulement. J’aimerais être cette badass qu’on peut voir dans les séries, celle qui enchaîne les mecs, qui peut les cumuler et qui ne se souvient même plus de leurs prénoms. J’aimerais être cette fille. Mais moi, je suis l’autre. Et après tout, c’est peut-être pas si mal.
C’est ce que j’ai compris, ce jour où j’ai écrit sur mon premier amour.