Lundi 3 octobre 2022. Je me suis installée sur mon canapé après une séance d’aquagym rythmée, qui avait valu à mon téton plusieurs gifles dans la gueule et offert un nouveau surnom : la chaudasse de l’aquaboulevard. Mais ça, je vous le réserve pour une autre histoire. Parce qu’à cette séance, outre la récente découverte de ma vocation en tant qu’actrice porno, j’avais surtout entretenu celle qui me collait à la peau : en d’autres termes, mon talent pour les ragots. Et à l’aquagym, il n’y a que ça. Des petites quinquagénaires, qui se retrouvent entre copines pour brasser de l’eau et surtout du vent. Il y a aussi des femmes plus jeunes et, croyez-moi, elles n’ont rien à envier aux anciennes.
Avec elles, l’air a un goût de potins.
Et ce jour-là, l’une des trentenaires, au détour d’un casier, entre ses deux copines aux jambes bien mieux dessinées que les miennes, a lâché LA bombe. Elle se tapait un vieux. La sugar baby de la piscine municipale baisait avec un soixantenaire. D’abord, j’ai été un peu dégoûtée. Et puis, j’ai été curieuse. Qui était-il ? Que lui voulait-elle ? Et, évidemment, comment était-il ?
Discrètement, j’ai feint de récupérer une serviette dans une douche pour me faufiler derrière elle et admirer l’étalon. À ma grande surprise, il n’était pas si laid. Vieux, bien sûr, mais loin d’être moche. Plus encore : je comprenais son intérêt. Ses petits cheveux gris restaient nombreux, son nez n’était pas trop crochu et ses épaules semblaient solides. Il avait du charme. Et il avait un atout so 2015 : la bedaine.
Et c’est à cet instant que tout m’est revenu en pleine gueule, comme la vague qui avait frappé mon téton pendant les 45 minutes de la séance. Le dad bod. Littéralement, « le corps de papa ». Cette tendance venue tout droit des États-Unis qui a fait fureur il y a quelques années. C’était LE fantasme de l’époque.
Terminé, les abdos alléchants, les muscles saillants, les physiques de dieux vivants. Ce qui faisait des ravages, c’était le gras. Tout le monde semblait d’accord. Je me souviens même d’une vieille amie qui avait à son tour succombé. Elle s’appelait Jennyfer. Un cliché, queen de l’université, la plus jolie de tout le campus et, en plus, la plus intelligente. Au lycée, je l’imaginais reine de promo, au bras d’un basketteur un peu con ou de n’importe quel athlète aux abdos bien tracés. Mais à la fac, en 2015, je l’avais vue plonger. Plonger pour le dad bod.
Un soir, dans un restaurant de luxe — lieu préféré de son gorille —, elle m’a présenté son grassouillet, celui dont elle grattait le double menton et attrapait les poignées d’amour.
La rencontre n’a pas manqué de réussite. Il était le cliché même du dad bod. Voire pire. Un grand aux épaules carrées et au regard tendre, au ventre de femme enceinte et aux seins plus dodus que les miens. Un monstre. Une sorte de Shrek. Terriblement gentil, donc. Elle n’avait pas seulement pris l’option bedaine, ma pote. Non, elle avait pris tout l’engin, massif du haut du crâne jusqu’à l’orteil. Ici, il était question d’un vrai gros, et pas d’un petit surplus. Hyper impressionnant, en somme. Et je reconnais, très sexy.
Puis, tout à coup, alors qu’il évoquait combien il se passionnait pour la nourriture, aussi bien française qu’étrangère, il s’est accidentellement coincé un petit bout de salade entre deux dents. Ça a suffi. J’étais hypnotisée. Hypnotisée par cette feuille qui recouvrait les trois quarts de sa canine. Et je ne voyais plus que ça. Ça, et sa bedaine frottant le rebord de la table. C’était trop. Je me sentais mal. Au sens propre.
J’ai à peine entamé ma première frite que mon corps a commencé à faiblir, ma tête à tourner et mes yeux à se fermer contre mon gré. Je lâchais prise.
Et, alors que je tombais de tout mon corps la tête la première dans ma sauce barbecue, presque raide, l’homme au ventre rond, sans une once d’hésitation, a foncé jusqu’au comptoir, ordonné avec sa voix de Viking qu’on m’apporte des serviettes fraîches et un verre d’eau, m’a attrapée à bout de bras avant que je ne m’effondre et, me soulevant comme une princesse, m’a passé délicatement les lingettes sur le visage en me chuchotant des mots rassurants :
— Ne nous quitte pas, pas maintenant.
Grâce à sa voix calme et au sein de ses épaules fortes, je suis revenue à la vie. Sa bedaine me servait de table, et je l’appréciais à sa juste valeur. Elle était pratique. Elle était douce. Elle était confortable. Elle était ce que je voulais aussi.
Mais ça, c’était en 2015. Les années ont défilé, et les tendances avec. Des dad bods, nous sommes retournés vers les corps musclés, puis le gros cul de Kim, en passant par les sugar daddies. Eux, bedaine ou non, ils sont toujours là. Et c’était pas la petite brunette en maillot de bain, téléphone en main, occupée à admirer son papy, qui allait dire le contraire.
Après avoir maté son vieux, j’ai tendu l’oreille. Qu’est-ce qu’une si jolie fille faisait avec un grand-père comme lui ? Évidemment, j’ai pensé qu’elle était intéressée. Elle l’avait précisé : il avait de la thune. Mais visiblement, elle aussi. Femme indépendante, mère d’un enfant, directrice de deux salons de coiffure, elle ne nécessitait de toute évidence personne pour subvenir à ses besoins.
J’ai continué mon enquête, sans trop de difficultés tant elle exposait son quotidien. Vacances aux Maldives, hôtels à 300 balles la nuit, restos les pieds dans le sable et week-end thalasso. Elle menait la grande vie, avec son daddy. Bien sûr, j’attendais avec impatience qu’elle détaille leurs rapports sexuels. Et quand elle l’a fait, tout a pris sens.
Trois orgasmes. En dix-sept minutes. Son vieux schnock lui avait donné trois orgasmes. Presque plus que mon Womanizer n’en était capable, presque plus que mon clito ne pouvait en supporter. Elle racontait comme il la faisait jouir sans même la pénétrer, comme il plaçait ses doigts délicatement sur ses lèvres déjà trop gonflées, comment il finissait par les introduire au parfait moment dans son vagin mouillé et comment sa bite ridée lui décrochait le plus intense des soupirs. Elle expliquait combien il admirait son corps et se foutait du sien. Et puis, il ajoutait que ce qui comptait vraiment, c’était son plaisir, et il le pensait.
Elle avait le dad bod, mais elle avait surtout le dad.
Et si, à cet instant, je ne pouvais m’empêcher de songer au mien, me donnant la nausée d’un coup, je devais reconnaître que je la comprenais. Parce que ces vieux, ils réveillent en nous notre complexe d’Œdipe. Et si fantasmer sur son père est clairement dégueulasse, le faire avec d’autres hommes du même âge semble tolérable. Dans ma tête, je voyais Léonardo DiCaprio, Hugh Grant ou Brad Pitt. En même temps. Ces vieux qui peuvent te faire jouir en une seule pensée. Oui, ils ont encore un bel avenir devant eux. Ou pas vraiment.
Au milieu de ces vestiaires, pendue aux lèvres d’une femme que je ne connaissais pas, j’ai songé à mon crush. Lui dont les abdos sont parfaitement dessinés, les épaules solides, le cou musclé et les fesses sculptées (soyez pas jalouses). J’ai pensé à lui et, pendant quelques secondes, j’ai envié cette femme qui sortait avec un vieux…
Avant de me souvenir que, putain, qu’est-ce que c’est sexy un mec de 30 ans ! Sorry : les dad bods, ok, mais uniquement quand j’aurai mon mum bod. C’est ce que j’ai compris, ce jour où j’ai découvert les dad bods.
PS : Ceci est évidemment de l’humour. On aime son corps comme il est. Même si, je peux pas mentir, j’adore trop les petits culs et les épaules musclées. Tout ça en mangeant un cookie, bien sûr. Ou deux.