La Moins Bonne de tes copines

Ce jour où j’ai créé un oracle

bkg B Club

Un jour d’octobre 2023. Probablement un lundi. Un de ceux plachplouch où rien ne peut me motiver à l’exception d’une bonne idée. Et il m’en fallait une excellente, à cette époque. Car en octobre 2023, le contexte n’était pas vraiment à la bonne humeur. Je venais de me séparer d’un homme pas très capable, mais dont j’étais très amoureuse et j’avais décidé d’en faire un roman. Le Titre

Dans ce livre, que j’espère que vous avez dévoré tant il est génial, j’ai mis mes peines, mes joies, mes déceptions et mes bonnes surprises. Et j’y ai intégré un peu d’ésotérisme. Car l’héroïne, Coralie, est cartomancienne. Pour celles qui n’y connaissent rien, elle tire les cartes pour lire l’avenir. Et si l’ésotérisme est devenu une activité tendance depuis plusieurs années, qui vole les étagères à Cultura pour y étaler ses oracles et dont tout TikTok est envahi, moi, je m’y penchais depuis longtemps.

Il faut dire que la cartomancie – et, de manière globale, les choses spirituelles improbables –, c’est mon truc.

Depuis toujours, je vois ma mère tirer les cartes et m’apprendre, je mate l’intégralité des saisons de Buffy contre les vampires au moins une fois par an et je me tape des bouquins sur la magie depuis mes cinq ans. True story. Mon enfance, elle a été faite de pieux que je taillais dans du bois pour aller patrouiller dans le cimetière de mon village, de papier que je trempais dans du café pour lui donner un aspect vieillissant avant d’y inscrire des rituels magiques et de nombreuses bricoles que j’achetais pour en faire des talismans. Bien éclairée, la gamine. En grandissant, ma folie ne s’est pas arrêtée, bien qu’elle se soit affinée. J’ai troqué les leçons de ma mère pour des livres plus poussés, contacté des énergéticiennes pour m’aligner à mes propres chakras et continué d’apprendre tout ce qui pouvait servir à mon développement personnel.

Car c’est de ça qu’il s’agit, avec l’ésotérisme. De développement personnel.

Bien qu’évidemment, on consulte les cartes dans un premier temps pour connaitre son avenir, ce qui importe vraiment, c’est la route qu’elles nous indiquent, c’est les choix qu’elles nous suggèrent et les pièges qu’elles nous conseillent d’éviter. En réalité, la cartomancie, ce n’est rien d’autre qu’une séance potins et psychologie de comptoir avec les copines. En d’autres termes, le tarot est simplement un outil pour exprimer des ressentis et pouvoir communiquer plus aisément. 

Moi, c’est mon truc. Et mon entourage le sait bien. Amis, famille, collègues, tous sont au courant que je maîtrise ces énergies et que je les mets au service de ceux que j’aime. Grossesse de ma sœur, petit copain avec qui ça se complique ou travail à lâcher, je prévois tout. Enfin, presque. Car l’Esperluette, lui, je ne l’avais pas vu venir.

Et pourtant, il était logique qu’un jour ou l’autre, j’allais créer mon tarot. Un soir, ou peut-être un matin, alors que je bossais sur un chapitre de mon dernier roman, c’est apparu comme une évidence…

Et si l’oracle de Coralie, l’Esperluette, dont elle parle dans le livre, prenait vie ? Et si toutes les cartes qu’elle utilise pour ses clientes existaient vraiment ? Et si ce tarot pouvait aider mes lectrices ? 

Rapidement, j’ai lâché l’écriture et j’ai foncé sur Google. Comment pouvais-je créer un oracle ? Je me suis lancée dans mes recherches, j’ai tapoté, lu, noté et tenté de tout comprendre. Sur l’écran, rien de bien compliqué. Il fallait illustrer des cartes, une boite et un livret, les imprimer, les façonner et le tour était joué. Finalement, à quelques détails près, la fabrication d’un oracle semblait être la même que celle d’un livre. Dans les faits, ça s’est révélé bien différent. 

Déjà, car la production en France implique des coûts astronomiques, sans vraiment d’options incroyables pour le produit. En gros, pour une bonne dizaine d’euros, je me retrouvais avec une boite minable et un jeu de cartes.

Pas de quoi me faire rêver. Et surtout, pas de quoi vous faire rêver. Je devais me faire une raison : si je souhaitais que ce projet aboutisse, je devais le faire à l’étranger.

Après plusieurs jours à me questionner sur mon éthique, sur mes convictions et sur ma capacité à aller contre, j’ai décidé de me lancer : mon oracle serait produit en Chine. Je vous épargne le bonheur de me flageller quant à mes choix, je me rends bien compte qu’ils ne sont pas justes écologiquement et humainement. Évidemment. Mais j’ai fait ce choix en parfaite conscience, non sans mal pour autant, mais sans me voiler la face, en pesant les avantages et les inconvénients, et en concluant que je restais en accord avec moi-même.

Alors passons directement à la partie fun. Celle où j’ai rencontré Becky – dont le vrai nom n’est probablement pas aussi américanisé –, la commerciale en charge de mon projet qui, pendant de très longs mois, a subi ma tyrannie dans un anglais approximatif. Parce que faire produire en Chine, c’est stressant. Premièrement car je ne l’avais jamais fait et donc qu’à chaque étape, j’avais l’impression qu’on m’arnaquait. Deuxièmement car la temporalité n’est pas la même.

Troisièmement car le langage n’est pas le même. Tant de choses qui font que la production de mon oracle est devenue un calvaire.

Et puis, histoire de cumuler les plaisirs, j’avais pris la décision de l’illustrer entièrement. Avec Canva. Pour celles qui ne connaissent pas Canva, c’est un site permettant de faire de la création graphique et du design. Oui, mais les graphistes, très justement, ont des outils bien plus poussés et surtout, des compétences aiguisées. Moi, j’ai fait un master de socio. Je vous laisse faire le rapprochement, mais dans « socio », il n’y a pas « design ». Et si la réalisation de l’univers visuel, des cartes, de la boite et du livret m’a demandé un temps fou, pour autant, il n’y avait vraiment rien de compliqué. Car jusque-là, ce n’était que mettre ma créativité au profit de ce projet. Ce qui est devenu catastrophique, ça a été à la fin, lorsque j’ai naïvement expédié le fichier PDF, telle une étudiante en dernière année.

Évidemment, Becky m’a envoyé tout un template en chinois, et m’a laissée me démerder. Un enfer. 

Mais après plusieurs jours (et nuits) à me torturer l’esprit avec cette boite, ces cartes, à écrire et imaginer chaque interprétation pour le livre, à rédiger des dizaines de mails pour reprendre des détails et à façonner un prototype validé uniquement par vidéo après moult corrections de ma part, nous avons enfin bouclé le projet. Une libération… Du moins, je le pensais.

L’ensemble des oracles allaient partir en production pendant plusieurs semaines et ensuite traverser le monde en train pour me rejoindre. Oui, car je sais que je suis une connasse, mais pour me donner bonne conscience, j’ai choisi le train. Une très bonne idée. Sauf lorsque l’on découvre que cela double les délais. Deux petits mois à les attendre, croisant les doigts pour qu’ils ne se perdent pas, pour qu’une douane inconnue ne les bloque pas ou pour qu’ils ne disparaissent pas dans des conditions improbables. Deux petits mois à espérer que tout se passerait bien… et qu’ils me plairaient. 

Et c’est arrivé, ce jour où mon livreur adoré m’a appelée pour m’annoncer qu’il avait 98 colis de 14 kilos chacun, provenant de Chine. Une bénédiction, sauf à porter. Je me suis empressée de les ouvrir pour les admirer. Ils étaient beaux. Ils étaient même magnifiques. Et, je le savais : c’était vrai. Habituellement, quand un nouveau projet se concrétise, j’y trouve toujours une déception. Éternelle insatisfaite, sans doute. Mais là, ils étaient splendides. La boite, le minitiroir qui coulisse, le pochon en velours, l’ensemble des cartes, le petit guide. Bon, j’avoue, le petit guide a un bug d’impression. Mais il en fallait bien un, de bug. Et, à choisir, j’aurais voté pour celui-ci.

Très vite, je l’ai utilisé pour aider ceux que j’aime, et j’ai compris. Il n’était plus cette blague, il n’était plus ce goodie qui accompagne Le Titre, il était devenu un vrai objet unique, rempli d’amour et de bienveillance. Sans même que je l’envisage réellement, il a accompli son rôle d’oracle et même trouvé les réponses justes aux questions de ses interlocuteurs. 

L’Esperluette n’a absolument rien à envier aux autres tarots. Il est parfait, avec ses petites imperfections, ses heures de travail acharnées et toutes les bonnes intentions grâce auxquelles il est né. Il est enfin entre mes mains… et j’espère bientôt entre les vôtres.