La Moins Bonne de tes copines

Ce jour où je suis allée en prison

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Samedi 18 juin 2022. Je reçois un mail dont l’expéditeur se termine par « @justice.com ». D’abord, je pense à une arnaque, comme cette fois où on m’a accusée de mater du porno et, par conséquent, demandé une grosse somme d’argent — cette histoire, tu la connais. Et ensuite, je me suis penchée sur l’objet : « Projet rencontre auteure ». C’était ce qu’il disait. Je me suis empressée d’ouvrir, m’imaginant déjà au ministère de la Culture à partager mon savoir, mon expérience et expliquer comment j’en suis arrivée à écrire des livres dont la couverture est une meuf à poil avec une épilation de la chatte approximative. C’était presque ça. Sans le côté ministère de la Culture.

Dans son mail, Mathilde (qui ne s’appelle pas Mathilde, mais tmtc qu’il faut garder son nom d’agent secret… secret) me proposait de venir présenter mes œuvres aux détenues du centre pénitentiaire de Vivonne.

Et si je n’ai pas hésité à dire oui, j’ai eu un peu peur. Voire beaucoup. Parce que moi, je suis une petite fragile ; je suis issue d’un milieu privilégié, la seule chose qui aurait pu me coûter la prison est un vol chez Pimkie de boucles d’oreilles d’une valeur de 30 centimes lorsque j’avais quinze ans. Alors ce monde, je ne le connaissais que dans les films ou, au mieux, dans les documentaires TF1 Découvertes le samedi après-midi. Me visualiser en face de détenues n’était pas chose évidente. Bien sûr, j’ai tout de suite déconstruit mon imaginaire en me répétant qu’avant d’être des détenues, elles étaient juste des femmes qui, pour des raisons qui ne me regardaient pas, avaient mal agi. Mais ça, c’est ce qu’on dit pour faire bien en société. Parce que dans ton cœur (et surtout dans ton slip), tu te chies dessus en t’imaginant devant des meufs qui ont potentiellement tué quelqu’un. J’ai quand même accepté et donné rendez-vous à Mathilde le mardi 13 septembre.

Et nous y étions, à ce jour où j’allais entrer en prison. J’étais anxieuse. D’abord à l’idée de faire une chose pour la toute première fois, mais aussi d’être dans cet endroit si négatif. Parce que là encore, on dira en société que c’est une institution utile, un établissement coercitif dont le but est d’aider les gens à se réintégrer dans notre monde. Certes. Mais la réalité, c’est que des dizaines de personnes y sont enfermées et que, jusqu’à preuve du contraire, c’est carrément glauque. Et ce que j’allais vivre n’allait pas vraiment changer mon point de vue.

En arrivant, j’ai retrouvé Mathilde et ses collègues. Des femmes au fort caractère, souriantes, pleines de bienveillance, aimant leur travail et avec la volonté de me partager au maximum leur quotidien. C’est ce qu’elles ont fait.

Instructions en tête, me répétant de ne pas appeler les surveillantes par leurs prénoms, de garder le biper d’urgence sur moi et de laisser téléphone et autres effets personnels dans mon casier, elles m’ont annoncé que nous allions attaquer la visite. Tout. Elles me m’ont tout fait visiter. Et, bizarrement, je me sentais chanceuse de vivre cette expérience.

Parce que découvrir une prison, se faire enfermer dans une cellule quelques minutes ou échanger directement avec les détenues, c’est une chance. Une chance de se rappeler ce qu’on a. Le bruit des clés glace le sang, les portes qui s’entrechoquent coupent le souffle, les couloirs sont tristes, même si Pirate le chat apporte un peu de lumière. Dans chaque recoin, je voyais les documentaires que j’avais pu mater sur mon canapé. Tout était exactement comme on peut nous le décrire. Des détenus aux fenêtres jusqu’aux barreaux sur les portes, en passant par des cellules de quelques mètres carrés. Oppressif.

14 heures 30. C’était le moment. Celui de rencontrer les prisonnières. J’étais anxieuse. Anxieuse de ne pas me montrer à la hauteur, de faire une gaffe ou de ne pas pouvoir m’empêcher d’être dans le jugement, alors même que je ne connaissais pas le leur. Peur d’être humaine, tout simplement. J’ai respiré un coup et fait ce que je sais faire le mieux : être moi-même.

Elles sont finalement arrivées, m’ont saluée avec un chaleureux sourire — pour la plupart — et se sont installées en face, sur les chaises qui leur étaient attribuées. J’ai commencé en m’excusant d’avance pour les maladresses à venir, j’ai expliqué que c’était une grande première pour moi et que c’est toujours stressant. Elles m’ont souri une fois encore, à l’exception de cette détenue du premier rang qui me fixait avec intensité, les talons claquant sur le sol.

Puis, tout s’est déroulé très facilement.

J’ai commencé par présenter mon parcours, avec humilité et de manière succincte, avant de les voir s’intéresser et me poser plein de questions. Rapidement, l’échange a dévié sur le cul. Et, coup de chance, c’est un sujet assez universel. Elles m’ont raconté leur abstinence involontaire, leur façon de la gérer et les contraintes de l’emprisonnement sur leur sexualité. Le temps passait à une vitesse folle et ce qu’on partageait m’intéressait, vraiment. J’en oubliais presque que je me trouvais dans une prison tant leurs interventions étaient justes et sensées.

Jusqu’à son intervention, à elle. Amaé. Un petit bout de femme, à la peau colorée et aux cheveux crépus, lunettes sur le nez et traits fatigués. Elle a levé la main et, une fois qu’elle a eu la parole, m’a simplement dit :

— Je n’ai pas osé lire vos livres… Ils parlent de cul et, ici, du cul, on n’en a pas… Alors, vous comprenez, je ne veux pas allumer la flamme et ne pas avoir de pompiers pour l’éteindre.

C’était drôle, et c’était logique. Autour d’elle, toutes ses camarades ont apprécié la blague. Et moi aussi. En revanche, aucune des surveillantes n’a ne serait-ce qu’esquissé un sourire. Et pour cause. C’est après que j’ai appris que cette femme avait menacé son conjoint de le brûler s’il dormait sur le canapé. Spoiler alert : il a dormi sur le canapé.

La rencontre s’est terminée en partageant simplement un jus d’orange. Dans cette petite salle, c’était une bulle de liberté. Au sens propre. Chacune pouvait venir me parler, passer un moment avec moi sous le regard lointain des surveillantes. Là, j’ai discuté avec l’une d’entre elles de sa sexualité, de sa rencontre avec un autre prisonnier, de son amour naissant. Comme une ado, ses yeux pétillaient et je pouvais presque sentir son cœur s’emballer. À cet instant, elle n’était plus une détenue, elle était seulement une femme avec une histoire compliquée.

Les surveillantes nous ont finalement ramenées, les détenues dans leur cellule et moi dans ma liberté. Le soleil n’avait jamais eu un si bon effet sur ma peau et l’air n’avait jamais été aussi pur dans mes poumons. La liberté était savoureuse. Et je me suis sentie mal pour elles, enfermées, seules, pour plusieurs mois encore. Devant mon désarroi, Mathilde m’a confié leurs fautes. Beaucoup étaient des meurtrières : enfant, mari, meilleure amie. Elles ne se trouvaient pas là par hasard. Et pourtant, sans leur chercher d’excuses face à ces atrocités, mon cœur n’y puisait pas de réconfort. Parce qu’avec elles, durant ces quelques heures dans cet établissement de l’enfer, je n’avais pas vu des monstres, bien que ce soit clairement ce que leurs crimes faisaient d’elles.

Cette expérience m’a chamboulée, pour ce qu’elle a été mais pour tout ce qu’elle m’a rappelé. Elle m’a rappelé que dans la vie, rien n’est une chose ou l’autre, que tout est nuances et que même le pire peut contenir un peu de bien et que le bien peut rapidement devenir le pire. C’est ce que j’ai compris, ce jour où je suis allée en prison.