La Moins Bonne de tes copines

Ce jour où on m’a tiré … les cartes

bkg B Club

Samedi 3 septembre. Des jours que j’étais en boucle sur le sujet qui nous inspire tous le plus : l’amour. J’avais passé une semaine de merde. Merde que j’avais pratiquement complètement inventée, trouvant son origine dans un message sans émoticône ou une non-réponse de plus de 24 heures. Mais moi, ce genre de comportements me suffit à m’enfouir dans ce que j’appelle : EL TUNELO. Pour les non bilingues (et pour ceux qui le sont et qui savent que « tunnel » se dit “túnel”) : LE TUNNEL.

Le tunnel, c’est simple. C’est là où tu te retrouves quand tu vrilles. Totalement.

Quand un « non » par texto devient un « je veux qu’on se sépare », quand un sourire à la boulangère devient un « c’est sûr, il me trompe avec elle » et quand un « je vais boire une bière ce soir avec des potes » devient un « tu passeras toujours après eux ». Le tunnel, c’est ce fameux moment où ton cerveau décide de partir en roue libre, en impro de hip-hop et que, mauvaise nouvelle, il s’avère champion du monde. Depuis quatre ans. Dans toutes les catégories. Et tous âges confondus. Bref, le tunnel, c’est quand tu te transformes en folle à lier, et que rien, RIEN ne peut te faire revenir à la raison, à part toi.

Moi, le tunnel, je le vois souvent arriver de loin. La plupart du temps, ça part d’un mot lâché inconsciemment. Ou d’un mot jamais dit. En somme, ça naît d’un tout petit détail… Lui, l’autre, celui qui a encerclé ton cœur, il capte rien. Absolument rien. Toi, tu vas prendre la situation et la décortiquer. Des heures. Toute seule. Cette étape est importante. C’est celle de la fermentation. Enfermée dans ton pot, tu rumines et tu bouffes la merde que tu es en train de créer pour en sortir une encore plus belle. Et tu continues, jusqu’à ne plus pouvoir respirer. À ce moment, tu as un élan de survie. Mais cet élan, il ne te donne pas l’intelligence de contacter la personne qui pourrait y mettre fin en une seconde et demie. Non. Tu appelles plutôt ceux qui ne vont rien arranger : tes amis.

Évidemment, ils sont de bon conseil. Mais pour ça, encore faut-il que tu leur donnes les éléments. Les vrais. Et cette fois, ce n’est pas de ta faute. Toi, tu aimerais leur fournir tous les détails, objectivement, mais, sans même le vouloir, tu ne retiens que le négatif. Négatif qui justifie ton comportement.

C’est ainsi que tu es dans le tunnel, pour de vrai. Et là, tu ne peux compter que sur toi pour t’en sortir. Personnellement, j’essaye de ne jamais y rester plus d’une semaine. Dans l’idéal, trois jours. Premier jour : j’achète des clopes, du Coca, de la junkfood et je rumine dans mon lit. Deuxième jour : j’enchaîne les vocaux à TOUS mes potes pour qu’on critique ensemble. Troisième jour : je lui envoie un texto qui s’apparente à un mail de thésard avec arguments et contre-arguments. Et après, je sors du tunnel, persuadée que, je cite, « de toute manière, j’en ai rien à foutre de lui ».

En cette semaine de début septembre, j’étais dans le tunnel. Un joli tunnel, fabriqué de toutes pièces par mon cerveau, en quelques heures seulement. Plus efficace que dix Portugais réunis (oui, c’est raciste ; mais j’ai du sang portugais, ça me donne des droits). Et, alors que toutes les interrogations se culbutaient dans ma tête, j’ai commencé à m’en remettre à un autre : l’univers. J’avais, là aussi, plusieurs techniques. Je posais une question, lançais une pièce et attendais qu’elle tombe du côté face pour me donner un « oui » ; si je voyais une voiture rouge, ça annonçait du positif ; et je mettais un papier avec une interrogation sous mon oreiller en espérant voir la réponse apparaître dans mon rêve. Me jugez pas… Si vous n’avez jamais fait ça, grand bien vous en fasse, c’est que vous n’avez jamais connu el tunelo.

J’ai tout tenté. Mais l’univers ne voulait rien me dire. Ou je ne souhaitais pas vraiment entendre. Alors, je suis passée à la vitesse supérieure. J’ai sorti mon tarot de Marseille. C’est un don que j’ai. Depuis toujours, je tire les cartes  : j’ai prédit la grossesse de ma sœur, la rencontre d’une pote avec son mec et le nouveau job de ma tante. Je suis pas trop mauvaise. Sauf en ce qui me concerne. Lorsque je tire les cartes pour moi, elles ne disent que de la merde. Ou, encore une fois, je n’arrive pas à les comprendre. C’était évident : j’avais besoin qu’on m’aide.

Dans le fin fond de ma mémoire, je me souvenais d’une Madame Irma qui m’avait prédit mon avenir. Pour être honnête, je n’avais pas vraiment été convaincue. Les réponses s’étaient avérées prévisibles et légèrement trop faciles. Mais, cette fois, toujours enfermée dans mon tunnel, j’aurais pris n’importe quoi pour m’aider. Et surtout n’importe qui.

Le samedi 3 allait donc être le moment où je sortirais d’el tunelo.

J’avais rendez-vous dans son cabinet. Un endroit un peu insolite, au milieu d’une zone commerciale, entre un magasin Action et une salle de sport Fitness Park. À première vue, pas vraiment le lieu où je pensais la retrouver. Et pourtant. Entre ces deux géants, une petite porte donnait accès à une salle d’attente beaucoup plus cosmique. Encens, bougies, foulards étendus sur les murs, prospectus de méditation sur la table basse… À peine me suis-je assise qu’elle est apparue. Madame Irma. Ou Corinne, pour plus de réalisme. La Coco m’a invitée à la rejoindre. Elle, elle était très simple. Des talons compensés en jute très laids, un jean taille basse dont l’arrière laissait croire qu’elle s’était assise dans de la farine et une marinière terminée par de la dentelle. Elle n’avait rien d’une voyante ou d’une diseuse de bonne aventure. Et pour cause… aucune bonne aventure ne nous attendait.

Je me suis installée devant elle, admirant la boule de cristal qu’elle avait en guise de décoration.

— Je ne la lis pas, a-t-elle précisé.

Elle a sorti ses cartes en riant encore de sa blague qui n’en était pourtant pas une avant d’ajouter :

— Vous venez pour parler d’amour, n’est-ce pas ?

J’ai eu envie de lui dire que non, que je venais pour m’échapper d’un tunnel et pour remettre mon cerveau en place. Mais je me suis contentée d’acquiescer. En quelques secondes, elle m’a sorti plusieurs cartes, les a battues et a agrémenté le tout de bruits de bouche en plissant les lèvres. Ce n’était pas bon. Le tirage n’était pas bon. Et puis, d’un coup, elle en a pris une dernière avant de hurler. En la gardant dans la main, elle s’est levée et m’a ordonné de quitter la pièce, m’insultant de démon. Devant ma non-réaction, et toujours en beuglant, Coco a agrippé une bougie et a brûlé la carte en baragouinant une prière, ou une incantation, je ne sais pas trop. Une fois encore, elle m’a commandé de partir, me jetant les cendres au visage. Aveuglée, j’ai simplement attrapé mon sac et j’ai fui sans demander mon reste. Je suis retournée dans ma voiture, incapable de comprendre le sens de tout ce qui venait de se passer. Une seule chose était sûre : ma relation avec cet homme n’était, de toute évidence, pas bonne et il fallait que je sorte du tunnel. Mais à cet instant, même si j’approchais du bout, je n’étais pas encore à la fin. Jusqu’au moment où, à la fenêtre, arrivée de nulle part, elle est apparue. Corinne en sueur qui, à bout de souffle, me demandait de lui ouvrir. Comme prise de remords (et effrayée par ce qu’elle aurait pu me faire), j’ai poussé timidement ma portière.

— Vous avez oublié de payer, m’a-t-elle signalé en souriant.

C’est à ce moment que je suis sortie définitivement du tunnel ; lorsque, au milieu d’un parking, une voyante nommée Corinne qui venait de mettre le feu à son jeu de cartes m’a escroquée de 65 euros. C’est à ce moment que j’ai compris que la seule personne capable d’écrire mon avenir, c’était moi. Et c’est à ce moment que j’ai su qu’il fallait que je me fasse confiance, ce jour où on m’a tiré les cartes.

PS : Évidemment, Corinne n’a jamais fait ça. Corinne m’a simplement eue au téléphone, m’a annoncé que tout irait bien avec Thomas (cf. le podcast du 15 septembre si tu as suivi), m’a rappelé qu’il fallait juste que j’arrête d’être traumatisée par mes expériences passées et que je fasse confiance à la vie. Bref, Corinne a lu dans les cartes ce que mes potes avaient déjà compris. Du coup, maintenant, je trouve ça plus cool de laisser mon imaginaire faire. Après tout, ça a du bon d’être capable de créer des tunnels.