La Moins Bonne de tes copines

Ce jour où j’ai signé un bail 

bkg B Club

Vendredi 14 mars. Un vendredi qui allait changer ma vie. Un vendredi qui me rendait heureuse. Pour la première fois, j’ai signé un bail et, par conséquent, j’allais devenir propriétaire. Moi, la petite gueuse, qui achetais ma propre maison, seule, avec l’argent que j’avais durement gagné en vendant mes romans. Une fierté.

Cette maison, c’est celle que j’attendais depuis deux ans, que j’avais eu tant de difficulté à trouver et qui m’avait bien fait douter. Parce que, ne nous mentons pas, acheter, qui plus est seule et pour la première fois, c’est effrayant. D’abord, car j’y ai foutu toutes mes économies cumulées depuis gamine et surtout, parce qu’on parlait d’une somme que je n’aurais même pas imaginé avoir un jour. Mais j’y étais, devant le contrat qui allait me plumer ou, au contraire, qui me rendrait encore plus riche. 

Pourtant, j’ai eu un doute sur la signature de ce bail. Non pas que je n’étais pas sûre de vouloir acheter. Sur ça, je n’ai hésité qu’au tout début, quand il fallait que je me positionne et que j’avais l’impression de perdre un organe tant la décision me semblait phénoménale. Forcément, à ce moment, toutes les questions inimaginables te viennent en tête : « Est-ce que cette maison est vraiment bien ? » « Est-ce que je vais m’y plaire ? » « Est-ce que le voisin pourra être mon nouveau plan cul ? » Bref, les interrogations classiques lors d’un achat. Si j’ai eu un doute sur la signature de ce bail, c’est uniquement à cause du notaire.

Le notaire. Ce vieux monsieur d’une soixantaine d’années qui prenait 5 000 balles pour justifier sa simple présence. Et ses compétences, certes. Mais ça fait cher les compétences. Le notaire, donc, avec qui j’avais rendez-vous à 18 heures. Le notaire, donc, avec qui j’avais rendez-vous à 18 heures et qui n’était toujours pas là à 18 h 30. À cet instant, les vendeurs ont découvert ma vraie personnalité. Bien que, soyons honnêtes, ils l’aient entraperçue avant, lors de notre rencontre, puis le jour où ils ont accepté la négociation et où j’ai explosé de joie, je les ai pris dans mes bras et surtout, surtout, j’ai fait du Nono Show. Puis, entre deux blagues de très bon goût, la propriétaire, une jeune trentenaire qui pourrait clairement être ma copine, a fini par m’avouer qu’elle avait regardé mon compte Insta, celui que vous connaissez toutes pour sa légèreté, sa subtilité et sa finesse. C’est faux. Celui dans lequel j’apparais en pyjama plutôt qu’en tenue de soirée, démaquillée plutôt que mascara en place, et avec des mots crus plutôt qu’un doux langage. C’est ce profil que la femme à qui j’allais acheter une maison avait découvert… et elle l’avait aimé. 

Pour moi, c’était une bénédiction. Toutes les personnes qui peuvent apprécier La Moins Bonne de tes Copines ont par défaut déjà mon affection. Et, par logique, j’ai la leur. 

Alors, quand j’ai naturellement explosé à cause de l’absence du notaire, les propriétaires n’ont pas été surpris. Au contraire, ils m’ont presque encouragée. Comment diable cet homme qui prenait tant de nos richesses pouvait-il ne pas être présent ? Pire, comment pouvait-il ne même pas nous répondre ? C’est ce qu’on aurait pu dire, si nous n’étions pas des charretiers. Nous, on s’est contentés de l’insulter (un peu). Ensemble. Sans le savoir, le notaire était en train de créer encore plus de solidarité, et c’était une bonne chose. 

Car, évidemment, il a fini par apparaitre sur notre écran (oui, histoire de cumuler les incompréhensions, nous étions en visio). Après une heure et demie d’explications dont je n’ai saisi que la moitié, voire le tiers, nous en sommes venus à la signature. Et, pour fêter ça, nous avons accompagné cette joie d’un verre de jus et d’une cigarette. Ne me jugez pas, je suis une femme sociale. En d’autres mots, je fume quand j’ai un verre à la main et que je suis bien entourée. C’était le cas avec cette fameuse propriétaire qui ne le serait bientôt plus.

Ce moment, il se prêtait à la confidence. Elle m’a donc avoué combien elle était heureuse que j’aie acheté sa maison, que cette dernière avait une âme et qu’il fallait la faire vivre. Elle a continué en me parlant d’elle et, avec un peu de retenue, consciente qu’elle touchait un sujet qui pouvait diviser, a tenté : « Tu es un peu spirituelle toi, non ? » Évidemment que je suis spirituelle. Avec cette réponse, j’ai ouvert la parole, encore plus. C’est ainsi qu’elle a enchainé avec un monologue pour m’expliquer que quelques mois plus tôt, elle était allée consulter une voyante, voyante qui lui avait lu ses vies antérieures. Ensuite, elle a ajouté qu’une personne d’une de ces existences passées allait réapparaitre dans son existence actuelle. Pour faire simple : elle allait retrouver une connaissance de ses vies antérieures. Ce n’est pas plus simple, mais je ne peux pas faire mieux. Moi, j’écoutais en fumant ma clope, partagée entre le WTF de la situation et le sourire que je ne pouvais pas faire disparaitre de mon visage, car la maison n’était pas encore mienne. 

Puis, elle a terminé en confiant qu’elle était persuadée que cette personne, c’était moi, qu’elle me connaissait d’une autre vie et que nos chemins n’avaient pas fini de se croiser. 

Face à cette réalité, j’ai eu envie de simplement lui dire que moi, ce que je voulais, c’était uniquement acheter sa maison. Mais parce que je suis polie, et surtout parce que je ne la possédais toujours pas vraiment, cette foutue maison, j’ai innové. En premier lieu, j’ai répondu que j’étais touchée qu’elle se sente liée à moi, et dans un second temps, j’ai précisé que j’avais l’amitié difficile et qu’il m’en fallait un peu plus. Le tout avec beaucoup de tact. 

À dire vrai, je déteste les gens, même les plus gentils dont elle faisait clairement partie. Cette femme, elle avait de très bonnes ondes et je ne doutais en rien de la belle personne qu’elle était. Moi, en revanche, je suis une sale conne aigrie. Une sale conne aigrie qui venait d’acheter une maison au beau milieu de la forêt pour m’éloigner encore plus du monde pourri qui nous entoure. 

Mais si, dans tout ça, j’ai un peu pris peur, j’ai surtout vu un joli moment de communion, de partage et d’univers qui s’aligne. Car si j’aime en rire, je dois reconnaitre que moi aussi, je l’ai ressenti, ce petit sourire en coin lors d’une rencontre qui vous illumine, ces yeux qui se plissent pendant une alchimie qui se crée, cette main qui se pose naturellement sur une épaule pour une bise d’au revoir. J’achetais la maison (presque) de mes rêves et, en plus, j’allais probablement me faire une nouvelle copine. C’est l’univers qui l’a dit, après tout. C’est ce que j’ai compris, ce jour où j’ai signé un bail.