Lundi 3 juin 2024. Quelques jours avant la sortie de mon dernier, superbe et magnifique roman : Le Titre. Non, je ne referai pas l’histoire, mais je dois tout de même repréciser au moins son contexte : ce livre parle d’un homme dont j’étais très amoureuse. Homme qui ne m’a jamais redonné de nouvelles, qui n’a de toute évidence pas commandé ce roman qui conte ses déboires et qui ne veut toujours pas de moi dans sa vie. Mais ça, c’est une autre histoire.
Cet homme, qui a brisé mon cœur plus que mon clito, continuait de me triturer l’esprit, encore dix jours avant le lancement. Évidemment, évidemment, évidemment (évidemment) que je pensais à lui. Pas tous les jours. Non. Toute la journée. Il était dans ma tête, autant que dans mon cœur, et je ne pouvais m’empêcher de me remémorer notre histoire. Scoop : écrire sur son ex, ce n’est pas une bonne idée. Encore moins lorsqu’il ne se considère même pas comme un ex.
Je le savais, je devais penser à autre chose. Et c’est à cet instant qu’il est apparu, celui que je connaissais pourtant déjà trop, celui que je détestais, celui vers lequel je me rabats lorsque vraiment je n’ai plus rien, celui qui est un marché humain : Tinder. Tinder, cette application de rencontres qui devrait se renommer « application de baise » ou « booster d’égo ». Des années que je la testais, des années que je la méprisais. Des années que j’y revenais.
Tinder, c’était vraiment ma dernière chance, alors que, devant L’amour est dans le pré après un McDo du lundi plachplouch, je me sentais si seule que j’ai fini par l’installer. Ça sonnait comme ça, pour moi, Tinder. Comme un soir d’hiver déprimant. Mais jamais cette appli n’avait encore sonné comme un « putain d’ex de merde, je n’arrive pas à l’oublier ». Jamais. Jusqu’à ce lundi 3 juin.
Je l’ai donc téléchargée, la fameuse app. À peine l’ai-je ouverte que, déjà, je me suis souvenue de ce que je détestais. D’abord, il me fallait refaire mon profil. Trouver des photos où je n’étais pas trop moche, parfois même belle. Puis, écrire quelques mots. Originaux mais pas trop, sincères mais qui n’attirent pas la pitié, longs tout en restant concis. J’ai fini par ne rien mettre. Surtout lorsque j’ai découvert les profils des hommes.
Des mois, voire des années que je n’avais pas fréquenté Tinder, et de toute évidence, ça avait empiré.
Permettez-moi d’être honnête dans ce monde fake du body positive et du « la beauté est à l’intérieur » et d’oser dire que, oui, 95 % étaient des gros beaufs laids. En réalité, il y avait différentes catégories. Ceux qui n’étaient pas si moches, mais qui portaient sur leurs épaules dénudées le poids du narcissisme prenant la forme d’haltères ; ceux dont la calvitie avait déjà fait des ravages et qui n’arrivaient pas à la cacher ; ceux qui n’avaient même pas mis de photos tant leur seul but était de baiser. Puis, dans tout ce beau monde, il y avait les 5 % restants. Ceux que je considérais comme potables, voire intéressants. Dont Robin. Oui, c’est son vrai prénom. Forcément, j’ai commencé en faisant une blague potache, en référence à Robin des Bois, et cela a marché.
Je m’en foutais. Finalement, je ne cherchais rien. Un booster d’égo, vous dis-je. Mais Robin, il était sympathique. Au moins pour quelques jours.
Dans la vie, Robin était cascadeur. Parfois dans les films, souvent dans des spectacles du Puy-du-Fou. Ça m’excitait. Dans ma jeunesse, ces shows faisaient frétiller mon clitoris. Dans ma vieillesse aussi. Je les regardais faire des cascades sur leur étalon au triple galop, sauter d’un bâtiment de plusieurs mètres et se bagarrer, les mains faussement ensanglantées. Tout cela laissant apparaitre des muscles saillants. Le problème de ces spectacles, c’est que c’est du spectacle.
Alors, lorsqu’après plusieurs jours de discussion digitale, nous avons décidé de nous voir, la magie du chevalier qui galope avec ferveur avant de tomber de son cheval parce qu’il s’est pris une épée dans la gueule a vite disparu.
Pourtant, nous étions bien partis. Il faut préciser qu’avant notre rencontre, j’avais vu une vidéo qui m’avait inspirée. Une cascade, justement. Une dame qui sautait dans des cartons et qui, une fois au sol, montrait un produit pour lequel elle faisait de la promotion. Dit comme ça, c’est ridicule. Mais croyez-le ou non, sur les réseaux, ça fonctionne très bien. Forcément, votre écrivaine préférée s’était lancée. Au sens propre. Oui, mais voilà, contrairement à l’homme des bois, moi, je ne suis pas cascadeuse et, bien que très drôle, ce fut un bel échec. Échec que ce Robin avait vite découvert lorsque, sans difficulté, il avait trouvé mon Instagram. Mais, là où il a été bon, c’est qu’outre le fait de ne pas fuir en voyant Lamoinsbonnedetescopines, il a voulu m’apprendre. En rejouant cette fameuse scène.
Le jour de notre date, donc, il m’a donné rendez-vous dans un terrain abandonné, une sorte de Mad Max de la campagne avec, forcément, des cartons. Il est sorti de sa voiture, a maté mon legging et m’a saluée. Moi, je n’ai aperçu que les fameuses grosses épaules qui n’étaient donc pas un mythe. Le reste m’importait peu. Lui, en revanche, bien que mon fessier bombé ait semblé lui faire effet, s’est vite reconcentré sur son objectif initial : faire de moi une cascadeuse professionnelle. Et puis, il avait de l’ambition, car comme il l’avait dit : « Il faut que la chute semble réaliste. » Et pour ce faire, il fallait « donner de l’élan ». C’est à ce moment qu’il a parlé du parechoc. Le parechoc. Ce truc immense à l’avant de son 4×4 que je n’imaginais utile que pour m’accouder en pleine levrette. Pour Robin, c’était un moyen de m’éjecter dans les cartons. Et le pire, c’est que j’ai accepté. Parce que devant lui, pour notre premier date, je ne pouvais pas refuser.
C’est ainsi que je me suis retrouvée, cartons en face, parechoc en cul, prête à me faire finalement défoncer.
Avant de rentrer dans sa voiture, il m’a donné quelques conseils, le principal étant : « N’essaye pas de savoir quand je vais te foncer dessus, sinon tu te protégeras. » Oui, Robin, je me protégerai, car, sans surprise, c’est ce qu’on fait lorsqu’on s’apprête à se faire rouler dessus.
J’ai fermé les yeux, entendu sa porte de voiture claquer et le moteur gronder. Dans ma tête, tout a fait sens. Si Robin avait maté mon boule, ce n’était pas tant pour l’admirer, mais bien parce qu’il y voyait un airbag naturel.
J’ai retenu mon souffle et j’ai senti la voiture s’abattre sur mes fesses, me propulsant avec élan dans les cartons entreposés devant moi. J’avais réussi. J’avais réussi la cascade, car elle n’en était pas une. Je venais de me faire renverser, et le pire, c’est que j’étais volontaire. Étalée au milieu des cartons, casque encore sur la tête et miraculeusement saine et sauve, je l’ai vu s’approcher avec joie. J’avais passé l’épreuve. Mais je n’avais qu’une envie : l’avoir échouée. Plus jamais, je ne fréquenterais un cascadeur. Encore moins, un qui oublie de commencer à filmer avant mes exploits… C’est ce que j’ai compris, ce jour où j’ai daté un cascadeur.