La Moins Bonne de tes copines

Ce jour où j’ai fêté l’anniversaire de ma sœur 

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Jeudi 18 juillet 2024. L’anniversaire de ma grande sœur. Trente-six ans. Ça fait mal, mais pas plus qu’à elle. Ma grande sœur, c’est une farfelue. Sans surprise, lorsqu’on me connait. Et cette année, elle allait encore une fois le prouver.

Il y a quelques mois, elle a acheté une maison. Oui, mais cette maison, elle avait besoin de travaux. Si toute la famille s’y était mise, moi, jusqu’à présent, j’avais réussi à y échapper. Heureusement pour moi, parce que je suis nulle, on ne me sollicitait pas et si on le faisait, je trouvais vite une parade. L’avantage d’être son propre patron, c’est qu’on peut aisément prétendre être sous l’eau. C’était mon cas. J’étais sous l’eau. Ou je le prétendais, donc. Toujours est-il que j’échappais aux travaux depuis des mois. J’y étais bien passée, en « coup de vent », comme je l’avais précisé avant même de franchir le portail. Rapidement, ma sœur m’avait foutu un marteau dans la main, que j’avais reposé presque immédiatement car mon neveu voulait « jouer avec moi ». Pauvre gosse, je ne pouvais pas l’abandonner durant une course de voitures, après tout. 

Mais cette fois… Cette fois, je n’avais pas le choix. Car pour son anniversaire, à la question « Que veux-tu ? », ma sœur avait jugé bon de répondre : « Votre temps. » Au premier abord, c’était super mignon. Dans ma tête, je le voyais comme une déclaration d’amour, un moyen de me dire qu’elle souhaitait qu’on soit ensemble. C’était faux. Ce qu’elle voulait, c’était notre temps… sur son chantier. Quelques jours après l’annonce, j’ai reçu une notification sur WhatsApp. Encore un nouveau groupe auquel on m’avait greffée et qui portait un nom qui me faisait trembler : « Chantier d’anniversaire ». Ma sœur était brillante, je devais le reconnaitre. Elle venait de créer un concept. Le chantier d’anniversaire. À cette conversation, elle a ajouté les explications. Pour faire bref, nous étions tous conviés le samedi 20 juillet dans sa nouvelle maison pour une aprèm travaux. Un plaisir. Évidemment, j’ai feinté la joie et me suis empressée de dire que je serais présente.

La vérité ? J’avais envie de crever. Encore plus lorsque, la veille, j’ai constaté qu’il ferait 33 °. Un chantier, en pleine canicule. Parfait programme.

Et la réalité s’est avérée presque pire. Nous avions donc rendez-vous entre 13 h 30 et 14 h. Je suis arrivée à 14 h. Tout le monde était réuni. Tout. Le. Monde. Sa belle-famille comprise. Sa belle-famille, c’est aussi des farfelus. Surtout la maman, que nous appellerons Corinne pour préserver son anonymat. C’est une maman poule. Une grosse poule. Et je ne parle pas de son physique, plutôt très fin d’ailleurs. Non. Je parle bien de sa manie de se nommer « Maman » quand elle s’adresse à son fils au lieu d’utiliser la première personne du singulier, de te toucher les cheveux lorsqu’elle passe derrière toi ou de te lancer des petites piques pour te montrer son affection. Ce genre de belle-mère. Et si je n’ai pas les avantages d’un mec, ce n’est pas pour me taper les désavantages de ceux des autres. Autrement dit, supporter Corinne toute la journée, ce n’était pas trop mon objectif. Oui, mais voilà, ce n’était l’objectif de personne. Et la Corinne, elle m’adore. Parce qu’on se connait depuis des années et que, je cite, elle se marre toujours bien avec moi. Il est vrai que la Corinne, elle est bon public et elle a de l’autodérision. En tout cas lorsque les vannes viennent de ma bouche.

C’est ainsi que, lorsque l’après-midi travaux a débuté et que ma sœur a annoncé les équipes, je me suis retrouvée, sans surprise, avec Corinne. Une joie. J’allais donc me faire une journée chantier sous une canicule de merde avec la belle-mère passive-agressive de quelqu’un d’autre. Une joie, ai-je dit. 

Je l’ai emmenée avec moi, lui ai donné un pinceau, ai rempli un bac de sous-couche et choisi la chambre la plus petite. Si les débuts ont été catastrophiques car je n’avais aucune idée de par où commencer, nous avons rapidement attaqué les coins, puis, petit à petit, trouvé notre rythme. Lent, certes, mais rythme quand même. Puis de lentes, nous sommes passées presque au point mort lorsque, seulement quelques minutes après le lancement, Corinne m’a subtilement indiqué, grâce à des essoufflements prononcés et des yeux qui roulaient de tous les côtés, qu’elle en avait marre. D’abord, elle s’est plainte d’un mal de dos. Puis, elle était fatiguée. Pour enfin partir boire un verre et disparaitre pendant 30 minutes.

Corinne m’avait lâchée. Et en réalité, j’étais bien contente. Jusqu’à ce qu’elle revienne en insistant pour m’aider. 

Parce que c’est bien ça, le souci avec les Corinne : elles ne veulent pas être mises de côté. Pire, elles ne veulent pas que leur fils pense à mal. Alors, elle devait lui prouver, lui répéter, lui montrer combien elle était investie. Tout ça sans rien faire, parce qu’elle était toujours fatiguée. C’est pourquoi il lui fallait une parade, parade que je lui ai offerte sur un plateau d’argent. Car, pendant que j’étais sur mon escabeau, bras tendus pour atteindre le plafond, elle me regardait redescendre toutes les deux minutes pour remettre de la peinture sur mon pinceau. C’était son occasion, celle d’avoir un rôle sans en faire trop. Sans même que je le demande, je l’ai vue attraper mon pinceau, puis elle m’a ordonné de remonter : « Je me charge de te recouvrir le pinceau de peinture. » Pendant toute l’après-midi, perchée sur mon escabeau, je l’ai entendue se plaindre d’être épuisée alors même qu’elle ne faisait quasiment rien. Plus que ça, elle m’a imposé ses contraintes. D’abord, ça a été la musique. Elle choisissait les sons et, malheureusement pour moi, elle ne voulait que du madison, qu’elle m’a obligée à danser car elle ne se souvenait plus de la chorée. Je me suis retrouvée à descendre de mon escabeau, non pas pour faire une pause et boire un Coca frais, mais pour lui apprendre quelques pas. Dans un second temps, ça a été les finitions.

Comme une cheffe de chantier, elle m’a ordonné de reprendre certaines zones, constatant les endroits mal peints, et m’a donné des conseils qu’elle aurait été incapable d’appliquer. 

J’allais craquer. J’allais craquer et lui dire de se faire enculer. Pour rester polie. Avant d’exploser, j’ai donc feinté une pause pipi pour prendre quelques instants de répit. C’est à ce moment que j’ai croisé ma sœur. Sans que je puisse lui adresser un seul mot, elle a débité en m’attrapant la main : « Franchement, merci de faire équipe avec Corinne, et merci de faire le show pour qu’elle passe un bon moment. Je sais qu’elle est pas facile, mais tu m’enlèves une sacrée épine du pied. » Puis, elle s’est éclipsée pour gérer une énième merde qui lui tombait sur la gueule. Je n’avais pas besoin de plus. C’était donc ça, le cadeau qu’elle demandait. Notre temps. Et si je pensais que le mien était précieux pour mes talents de Valérie Damidot, je venais de comprendre qu’il l’était pour mes talents de showgirl. Parce que si notre pièce était la plus longue à peindre, si nous avons fini avec plus de peinture sur le corps que sur le pinceau et si personne n’a voulu nous aider car Corinne était là, j’ai réalisé que j’avais offert à tous le plus beau des cadeaux : celui de faire en sorte que Corinne passe une bonne journée et, par conséquent, n’emmerde personne. 

C’est ce que j’ai compris, ce jour où nous avons fêté l’anniversaire de ma sœur. 

PS : Ceci est évidemment romancé. On sait jamais. Si Corinne lit cette nouvelle. Quand même.