
Lundi 13 mai 2024. En direct de Ouarzazate, au Maroc. Pour des raisons qui me dépassent encore, bien que je sois un être extrêmement drôle, intelligent et agréable à regarder, je me suis retrouvée dans ce qu’on appelle « un voyage presse ». En d’autres mots : une marque te paye pour voyager. Je sais, ça semble fou. Et ça l’est.
Car dans le commun des mortels, dont je fais partie, tu dépenses une fortune pour espérer prendre un avion dans lequel le siège devant te colle aux genoux et l’odeur des chiottes embaume ton nez. C’est ça, la réalité. Sauf ce jour où une marque m’a contactée, pour la seconde fois, et proposé de partir dix jours au Maroc. Le rêve. En tout cas, sur le papier.
En vérité, le Maroc a été un peu plus compliqué à vivre pour moi. Au quotidien, j’avais l’impression d’avoir un bec à la place du nez, faisant de moi un pigeon ou, en d’autres mots, un putain de porte-monnaie sur pattes. Moi, je me considérais plutôt comme ouverte et tolérante avant ce voyage. Il n’en est finalement rien. Car au Maroc, la place de la femme n’est clairement pas la même qu’en France et, malheureusement, leurs conditions de vie ne sont pas celles qui me conviennent. Différence culturelle, me direz-vous. C’est certain. Mais le résultat est le même : difficile pour moi de voir des femmes traitées de la sorte, aussi heureuses soient-elles peut-être.
Pourtant, il y a un endroit où nos cultures se sont alignées. Le hammam. Le hammam, c’est un lieu où les femmes se réunissent pour retirer leurs vieilles peaux mortes à l’aide de gommages qui leur déglinguent l’épiderme mais qui le leur rendent parfaitement propre. Mais surtout, le hammam, c’est un moment de partage, de convivialité, de liberté et de… nudité. Rien. Elles ne portaient rien, à l’exception d’une culotte pour certaines. J’ai donc retiré la totalité de mes vêtements, mais j’ai tout de même gardé mon slip, bien que complètement transparent à la seconde où j’ai mis un pied dans le hammam à plusieurs dizaines de degrés de chaleur. Autour de moi, des femmes de toute corpulence, de la plus fine à la plus pulpeuse, voire enceinte. Elles y étaient toutes.
Et là, l’expérience a commencé. On m’a assise à même le sol, avec pour protection une seule petite bâche. Devant moi, une femme, elle aussi nue, m’a invitée à me positionner de telle sorte qu’elle puisse entièrement m’astiquer. Munie d’un gant, elle est passée sur toutes les zones de mon corps, frôlant presque mon clito. Et elle a gratté.
Elle a gratté si fort que ma peau morte a disparu et, comme une seconde naissance, je suis devenue de la chair fraîche.
Entre deux gommages, elle me jetait des seaux d’eau au visage. Elle me baptisait. Cette femme me baptisait au milieu d’un hammam marocain. Et j’ai étonnamment aimé.
Il faut dire que ce voyage, je l’attendais comme la fin d’un cycle. Pour moi, ces dix jours marquaient un renouveau. J’avais vécu une rupture que je peinais à oublier, j’allais sortir un roman, j’avais même embauché ma meilleure amie. Tant de choses qui méritaient de débuter une nouvelle ère. Le Maroc devait être ce passage. Et pourtant, il ne l’avait pas été. Les jours avaient défilé et rien n’avait changé en moi… jusqu’à ce hammam. Je le savais, cette femme au cœur aussi gros que mes seins allait être ma libération, ma guide vers le chemin que je devais accepter.
Après avoir gommé l’entièreté de mon corps, elle m’a assise sur un petit tabouret et, comme une enfant de trois ans, elle m’a savonnée, avant de me foutre encore des dizaines de seaux d’eau à la gueule. Elle faisait de moi une nouvelle femme. Puis, elle m’a allongée sur le sol avant de me monter dessus pour un massage final. Un massage fort et pas très agréable. Un massage qui remet les idées en place. Enfin, elle m’a relevée, m’a prise dans ses bras, bloquant sa poitrine contre la mienne, avant de me déposer un baiser très tendre, telle une mère avec son enfant. « Li fet met », m’a-t-elle soufflé dans l’oreille, ce qui se traduit par : « Le passé est mort. » Elle était mon signe. Et elle avait raison. Le passé était mort, ce qui avait été n’était plus et n’existait que dans mon souvenir. Je devais avancer, et elle me le prouvait encore. J’étais purifiée, prête à laisser le passé au passé.
Une fois son rituel terminé, elle a attrapé ma main, puis mon visage avant de m’embrasser un peu trop près de la bouche.
Elle a fini par me faire traverser le hammam rempli de toutes ces femmes nues et m’a ramenée vers la sortie. La porte franchie, elle m’a tendu une serviette, m’a proposé de m’assoir et m’a offert le thé. Forcément. Nous sommes restées là, ensemble, pendant quelques minutes, simplement pour apprécier cette renaissance. J’étais bien, j’étais libre, j’étais à ma place et tout ça grâce à elle. Dans un long soupir, j’ai relâché les dernières tensions, sourire aux lèvres, ne pouvant décrocher mon regard d’elle. Je la remerciais sans avoir besoin d’aucun mot.
Ce qui n’était pas son cas. Dans un instant que j’aurais voulu ne jamais vivre, alors que nous partagions un moment de plénitude et que mon nouveau départ commençait, elle a osé. Elle a osé casser le silence… et mon corps avec. Pour des raisons qui me dépassent encore, dans une action que d’autres ont justifiée par de l’humour, cette femme qui venait de tant m’offrir a décidé de tout reprendre.
Thé en main, elle a jeté un regard sur mes cuisses qu’elle avait tripotées pendant de longues minutes et, en explosant de rire, a simplement gonflé ses joues, avant de se lancer dans une imitation, celle d’une femme qui marche. Pendant les premières secondes, j’ai cru qu’elle complimentait mes cuisses musclées et qu’elle me félicitait d’avoir un corps tonique, sous-entendant que je devais beaucoup marcher. Il n’en était rien. Elle, ce qu’elle disait, c’était le contraire. En d’autres termes, cette femme critiquait ouvertement mon corps, qu’elle considérait trop gros, et me conseillait de faire plus de marche pour éliminer la graisse. En quelques secondes, elle m’a reconfrontée à mes doutes, mes incertitudes, voire mes complexes. Je n’ai rien dit et j’ai laissé la déception sur mon visage pour seule réponse, devant elle qui tapait son meilleur fou rire. « C’est une marque d’affection », a commenté ma guide. Le passé n’était pas si mal, finalement.