La Moins Bonne de tes copines

Ce jour où j’ai eu l’oreille fouineuse

bkg B Club

Samedi 8 juin. Un samedi que j’aurais dû passer comme les autres, à mon cours de souplesse, à bruncher ou tout simplement à dormir. Pourtant. Pourtant, je me suis retrouvée à une trentaine de kilomètres de chez moi, à attendre Boris, Bobo pour les intimes que je ne suis pas.

Je pourrais vous faire rêver et vous dire que Boris (bien que son prénom, à ce pauvre homme, ne fasse en rien rêver – désolée pour les Boris), c’était un crush qui m’avait emmenée dans un endroit caché mais romantique pour me sauter sauvagement. Il n’en était rien. Car Boris, il était garagiste, et si je passais mon samedi matin avec lui, c’était que je n’avais pas le choix.

Quelques jours avant, j’avais eu droit au fameux contrôle technique. S’il n’a pas été si désagréable grâce au mécanicien qui me draguait, il en a été plus douloureux lorsque, à la fin, on m’a annoncé qu’il fallait changer deux amortisseurs, un essuie-glace et la fucking serrure de mon coffre. C’était dur. Dur parce que déjà, les contrôles techniques, c’est chiant. Et en sortir avec une contre-visite à faire et, par conséquent, un séjour obligatoire chez un garagiste qui va coûter une couille d’un roi, c’est trop. J’ai tenté de charmer le mécanicien, constaté que mes seins n’avaient plus leur succès d’antan et fini par accepter mon sort. 

À peine dans ma voiture (pourrie), j’ai contacté deux, trois garagistes alentour pour demander des devis, devis qui m’arrivaient vite avec des centaines d’euros en guise de bienvenue. C’était beaucoup. Beaucoup trop pour des amortisseurs qui, techniquement, bien que je comprenne leur intérêt, ne m’offraient pas beaucoup de bonheur. 

Heureusement pour moi, il y en avait un qui s’en préoccupait, de mon bonheur : le fameux jardinier. Lui, il vit dans le village depuis sa naissance et m’a vite trouvé une entourloupe pour que je m’en sorte pour moins cher. Bien sûr, vous le comprenez, c’est à ce moment que Boris, un pote de son enfance, débarque. Bobo, il fait ça en extra de son taf pour mettre du beurre dans ses haricots, bien qu’au vu de la bête, ce soit plus dans ses frites. Certes, ce n’est pas légal, mais moi aussi, j’avais besoin de beurre dans mon caviar. En somme, Boris semblait être le parfait compromis pour retrouver ma voiture de rêve.

En revanche, il y a une chose sur laquelle Boris n’avait aucun pouvoir, c’est le temps. Ce temps que prend la réparation d’un véhicule.

Alors, ce samedi 8 juin, après lui avoir laissé ma Fiat, j’avais deux heures à tuer. À dire vrai, j’étais plutôt contente. C’était midi, j’avais apporté mon ordinateur et un restaurant italien était à quelques mètres. Tout semblait parfaitement s’articuler… Encore plus lorsque je me suis installée à ma table à côté d’un couple. Le Graal. Du potin en barre. Qui plus est, un premier date. Je n’en avais pas la certitude, mais je le sentais. À son attitude un peu timide, à son attitude trop sûr de lui, à leur attitude à tous les deux. 

Entre deux montages YouTube, cachée derrière mon écran et protégée par mes écouteurs, j’enregistrais tout ce qu’ils se disaient. Ou plutôt, tout ce qu’il lui disait. C’était un monologue. Un monologue long et inintéressant sur du vin. Sur cet homme qui bossait dans ce domaine. Il n’a pas arrêté ; pendant presque une heure, ce con ne s’est pas préoccupé une seule seconde de la demoiselle et est parti en tunnel sur l’exploitation du vin dans sa région, sa mise en bouteille, la qualité du verre et les étiquettes qu’on pose dessus. 

Au début, je lui en ai voulu. Je lui en ai voulu de ne pas se rendre compte qu’il monopolisait la parole, qu’il était arrogant, très peu intéressant et complètement dans son monde, puis après, je lui en ai voulu à elle. Je sais, c’est pas bien. Mais parce que quelque part, je me suis vue, quelques années auparavant. Voire quelques mois auparavant. Quand moi aussi, bien élevée comme une gentille fille bien sage qui écoute et qui s’intéresse, je ne savais pas dire stop lorsque l’autre prenait trop de place. Car sous mes airs de grande gueule, je suis une gentille. Je suis de celles qui n’osent pas dire de se la fermer, qui patientent jusqu’à ce que le calvaire se termine, qui sourient poliment et pire, qui relancent. Parce que c’est ce qu’elle faisait, notre gueuse, elle relançait. Sans doute car elle l’aimait bien, peut-être car elle était intéressée. Mais j’en doutais. En tout cas, je partais du principe que non, ne serait-ce que pour poursuivre ma théorie. 

Puis, au bout d’un moment, une fois que le boug a terminé de lui décrire les différentes bouteilles qui existent, il lui a posé une question. Enfin. Une question sur elle, en une heure.

 « Tu as des passions, toi ? » La question de looser, certes, mais la question quand même. Elle, elle a bégayé, elle a tergiversé et, sans comprendre vraiment comment, elle a fini par se livrer, réellement. 

Elle a dit qu’elle n’avait pas confiance en elle, qu’elle doutait beaucoup et que cela l’empêchait d’avancer. C’était beau, qu’elle se rende vulnérable. Et l’autre con n’a rien compris. Car lui, face à cette petite bulle d’intimité que lui offrait cette jeune femme, il n’a pas pu s’empêcher de parler de lui. Encore. Je ne sais pas comment il a même osé, mais il lui a répondu sans aucun scrupule : « Mais c’est normal de pas avoir confiance, moi j’ai pas non plus confiance comme ça. » Et comme si cette phrase de gros égocentrique ne suffisait pas, il est reparti dans un monologue expliquant comment il avait appris à se sentir mieux et comment elle pouvait y arriver à son tour. Tout ça dans un mansplaining incroyable. Cette femme lui avouait qu’elle n’était pas sûre d’elle, et ce bolos trouvait le moyen de parler de sa confiance en lui, de toute évidence bien présente. J’étais outrée. Et ce n’était que le début. Car elle a continué à se livrer et sa vie était pleine de surprises. The Voice, problèmes de drogue, difficultés à s’imposer dans le milieu de la musique mais aussi contrat juteux qu’elle avait signé. Cette fille avait une histoire passionnante, voire inspirante. Et lui venait de prendre un coup dans son égo. Car encore une fois, cet homme qui aurait pu rebondir sur elle, sa vie, ses troubles, ses réussites, a préféré recentrer sur la seule chose qui semblait l’intéresser : lui. Sans aucun complexe, alors qu’un champ incroyable de réponses s’offrait à lui, il a balancé : « Après, moi, je suis désolé, j’y connais rien du tout au monde de la musique. »

Tu n’y connais rien au monde de la musique ??! Mais connard, crois-tu qu’elle connaisse quelque chose au monde du vin ?! Bien sûr que non, et cela ne l’a pas empêchée de s’intéresser, de poser des questions, d’essayer de comprendre.

C’est à ce moment que toutes mes croyances se sont renforcées. Je me revoyais, durant des dates avec des hommes que j’aimais beaucoup et qui, pendant des heures parfois, ne parlaient que d’eux et, honte à moi, je m’en contentais. Je la voyais, mettre cet égocentrique à l’aise en le rassurant, en se taisant même pour lui permettre d’aller sur des terrains qu’il maitrisait, s’empêchant de briller pour que lui puisse le faire. Je nous voyais, nous les femmes, accepter ce qu’eux n’acceptent pas. Je nous voyais, et je nous en voulais alors qu’ils sont les responsables. 

Je me suis promis, sans pour autant aller dans l’extrême, de ne jamais me forcer pour plaire, de ne jamais me changer pour convenir, de ne jamais me contraindre pour satisfaire. Je me suis promis de garder ma sensibilité, mon écoute, mon empathie envers les hommes que j’aime, mais sans jamais m’oublier. 

Je me suis promis de toujours considérer les autres, sans jamais les faire passer avant moi. C’est ce que j’ai compris, ce jour où j’ai eu l’oreille fouineuse.