La Moins Bonne de tes copines

Ce jour où j’ai aidé l’amour

bkg B Club

Mardi 4 mars 2025. Un jour comme un autre pour moi. J’ai enfilé mon jogging sans culotte, attaché mes cheveux qui n’avaient plus aucune boucle, mis mon pull avec un trou au niveau de l’épaule. Un jour comme un autre, donc. Certains matins, je prends le temps de devenir ma meilleure version. Certains seulement.

Car je le reconnais – et même si ce n’est pas une bonne stratégie en termes de confiance en soi –, bien souvent, je me contente d’une moi-même plus approximative, qui au mieux finira à la salle de sport sans croiser personne, ou au pire devra passer faire quelques courses, casquette sur la tête et lunettes pour cacher les cernes. Le matin, c’est généralement pour déposer les colis, aller pousser de la fonte et commencer une journée durant laquelle je m’arrangerai pour être un peu plus présentable. Mais le matin, donc, c’est le matin, et de ce fait, il ne faut pas trop en attendre de moi…

Dans ma petite voiture, soleil en plein visage et Céline en fond sonore, je nourrissais le cliché de la conductrice de Fiat 500. J’arpentais la route qui me faisait quitter mon village, et je l’ai vue, elle, cette femme gesticulant de tout son être, sur la chaussée. Si j’ai rapidement compris qu’elle était en difficulté, j’avoue que j’ai tout de même émis des réserves avant de m’arrêter. Ne me jugez pas, je suis certaine que vous aussi, vous avez peur des auto-stoppeurs.

Dans ma tête, les auto-stoppeurs, c’est le début d’un film d’horreur. Ici, c’était une jeune femme de la moitié de mon poids, à l’air paniqué et, surtout, en plein jour. Pas de quoi m’effrayer, en somme. S’attaquer à un gabarit comme le mien aurait été plus dangereux pour elle que pour moi. Et cela allait être à son avantage.

Prise d’empathie, je me suis rabattue sur le côté, j’ai déverrouillé ma voiture, et je l’ai invitée à monter. Dans tous ses états, elle m’a remerciée, mille fois, s’est assise directement sur les sacs en plastique qui contenaient mes commandes sur le siège passager et s’est empressée de me raconter son histoire, en prenant soin d’insister sur l’urgence de la situation.

Avec une euphorie qu’elle n’arrivait pas à cacher, elle m’a expliqué qu’elle venait d’un village voisin, qu’elle allait à la gare et que son vélo avait crevé.

Puis elle a ajouté, les étoiles dans les yeux et les papillons qui volaient si fort dans son cœur que je pouvais les entendre, qu’elle devait prendre le train pour, je cite, « rejoindre l’amour ». 

Alors, elle m’a donné plus de détails, que je n’ose pas vraiment conter ici, car j’ai juré de les protéger, mais qui, en somme, m’ont confirmé que j’avais fait le bon choix. Parce que cet amour, il n’avait pas l’air simple, il semblait plein de contraintes et de difficultés, mais plein de sincérité et de promesses. Elle a continué à me raconter son histoire tout en priant pour ne pas louper son train. Deux minutes. Il lui restait deux minutes. Deux minutes et nous étions encore bien loin de la gare.

Comme la servante de l’amour que je suis, je lui ai proposé de l’emmener à l’autre station, où un RER passait plus régulièrement et qui lui permettrait de retrouver l’élu de son cœur sans encombre. Celle qui était à 20 minutes de chez moi. Sans surprise, elle a loupé le train et moi, je lui ai offert de longues minutes.

De ces longues minutes qui s’envolaient sont nées des discussions intéressantes. D’abord, parce qu’elle m’a rappelé combien l’amour est l’essence même de la vie et à quel point être sa victime est le meilleur des châtiments. Puis, elle m’a permis de me rendre compte de la chance que j’ai d’être entourée, moi-même, de proches qui soutiennent mes choix, contrairement à elle. Enfin, elle m’a fait un peu peur. Parce que cet amour, je l’ai connu. J’ai été cette passionnée capable de prendre la voiture en pleine nuit pour quatre heures de route et quelques minutes de baisers volés ; j’ai été ce cœur embrasé qui, pour trois jours, part à l’autre bout du monde afin de surprendre l’être aimé ; j’ai été cette folle qui aurait pu tout quitter pour aller habiter à Marseille alors que le moindre degré au-dessus de la normale fait de mon entrecuisse des braises ardentes. 

J’ai été elle, et je le serai sans doute encore.

Si quelque part, je l’enviais un peu, car la douceur de l’espoir d’un avenir à deux reste l’une des plus belles sensations que j’aie pu vivre, cette femme m’a aussi fait prendre conscience que je n’étais plus prête à me lancer dans ce genre d’aventure où la prise de risque est inévitable. En d’autres termes, mon Dieu que je l’admirais d’être capable d’offrir son cœur avec autant de pureté, sans avoir peur qu’on le lui piétine.


Comme une grande sœur que je n’étais pas, car nous avions finalement le même âge, je me suis permis de la conseiller. Je me suis permis de l’avertir. Parce qu’autour de moi, tous les hommes sont décevants. À de très rares exceptions – ou potentiellement une exception : mon père –, je n’ai malheureusement dans mon entourage aucun exemple de mâle hétéro en couple (ou non) qui fasse rêver. Autrement dit, une fois encore, ce sont quand même tous des merdes. Si certains ne sont que des petites crottes, d’autres sont d’énormes bouses, mais une chose les relie tous : ils ne sont pas à la hauteur de ce que nous les femmes, nous leur offrons. Peut-être pensez-vous que c’est du féminisme. Ça l’est sans doute. Mais c’est avant tout un constat de mon quotidien, de ma réalité.

En la déposant à la gare, presque 30 minutes après notre rencontre, je lui ai donc demandé de faire attention à elle, de se protéger et, malheureusement, de se méfier. Je lui ai aussi dit que j’étais contente de l’avoir aidée à rejoindre celui qu’elle aimait, et qu’au fond, qu’importait ce qui allait se passer, ce qu’elle vivait actuellement faisait d’elle la plus heureuse du monde et que c’était la seule chose qui comptait à cet instant. 


Elle m’a remerciée, et n’a pas pu s’empêcher de me demander si elle pouvait me prendre dans les bras. Dans un câlin inattendu, issu d’une sororité qui servait finalement ceux qui nous font le plus de mal, je l’ai quittée. Et moi, emportant mes croyances, mais étant toujours cette romantique invétérée, je suis repartie avec un sourire aux lèvres et le bonheur de savoir que j’avais fait celui d’une autre aujourd’hui. C’est ce que j’ai vécu, ce jour où j’ai aidé l’amour.