Vendredi 5 juillet. Le début d’un week-end que nous organisions depuis des mois, l’enterrement de vie de garçon de l’un de mes meilleurs amis. Alex. Mon parfait petit Alex se mariait. Et il fallait fêter ça.
Accompagnés d’une dizaine de personnes, tous ses copains proches en somme, nous partions en direction de Lille, ville qui peut paraitre surprenante quand certains choisissent le soleil et la mer, mais pourtant, c’était notre décision. Alex, il adore Lille, et c’est la seule chose qui importe. Avec le vent et le froid. Mais ça, c’est un autre sujet.
Nous sommes arrivés le vendredi, dans un superbe immeuble lillois, très charmant et surtout suffisamment spacieux pour accueillir une douzaine de personnes. Moi, je partageais ma chambre avec Gabi, une danseuse professionnelle aussi drôle que touchante, et bien que son énergie fougueuse ait effrayé la mienne durant les premières minutes, c’est une pépite. Et tout ça annonçait un week-end parfait. Parce que c’était la grande réussite de ces deux jours : l’entente. Je le répète sans cesse, il est rare qu’autant de personnes venant d’univers différents matchent si bien. Moi-même, j’avais peur, je l’avoue. Passer autant de temps, comme dans la villa de Secret Story, avec des presque inconnus, ça s’annonçait compliqué. Alors oui, je connaissais brièvement certains membres de l’équipe mais, au final, aucun n’était mon ami, outre Alex évidemment.
J’étais stressée. Stressée que ma batterie sociale n’assume pas, stressée de ne pas réussir à mettre mon masque, stressée de trop le mettre et d’en faire des tonnes. C’est toujours un problème avec moi. Quand je panique en société, là où beaucoup se taisent et se fondent dans la masse, moi, je deviens un show ambulant. Pendant des années, j’ai travaillé cette partie, celle qui parle trop fort, se fait remarquer et finit par suer de la moustache de panique. La sagesse et la confiance en moi réussissent souvent à m’éloigner de cette Noëllie, mais je sais que rien n’est jamais acquis. Alors, pendant ce genre d’événement, j’en suis consciente. Elle peut revenir. Mais pas cette fois. Cette fois, j’ai profité. Profité en étant parfaitement moi-même, sans en faire trop, sans devoir me retenir. Je me sentais bien, et c’était beau. J’étais presque triste de ne pas pouvoir rapporter du drame et du potin. Après tout, c’est aussi fait pour ça, un EVG.
Heureusement pour moi, il y avait le dernier jour. Le dimanche. Lui, il a été bien plus douloureux.
Car si toute la veille était un puits sans fond d’amour, de larmes de bonheur, de verres d’alcool, de danse jusqu’au bout de la nuit et de McDo sur le bord de la route à 3 h du mat’, le lendemain, lui, n’avait pas la même saveur. Déjà, nous étions épuisés, et puis, on savait que c’était les au revoir. Pas les rapides que l’on fait brièvement entre deux portes sans même se claquer une bise. Non, c’était de vrais au revoir. Longs. Très longs. Et à répétition. Lorsque l’un avait son train à 10 h, l’autre l’avait à 11 h 30, puis encore un autre à 12 h 30. Évidemment, moi, j’étais la voiture de retour d’Alex. Autant vous dire que je les ai tous faits. Tous. Et Alex aime très fort ses amis. C’était long, j’étais fatiguée, et le drame est arrivé.
Tout a commencé lorsque, le restaurant ouvrant à midi, nous nous sommes posés dans un café vers 11 h pour – surprise – attendre encore. Moi, j’avais faim et je voulais du salé.
Bonne nouvelle pour moi, la vitrine proposait ce que j’aime le plus : une quiche. Ma passion. Ce que j’ai moins aimé, ça a été le prix. SEPT FUCKING EUROS. Sept euros pour une part. Mais le souci, c’est que moi, je ne sais pas ne pas réagir. Je suis entière. Et obsessionnelle. Alors, pendant au moins trois bonnes minutes, j’ai été en boucle. J’ai répété que sept euros, c’était trop et que c’était un scandale. Bien sûr, ce n’était pas les sept euros le problème. Le problème, c’était l’injustice. Oui, pour une quiche. À ce moment, ce n’était pas une quiche. C’était ce qu’elle représentait. Pour moi, elle était l’image de ce monde qui nous prend pour des cons, qui vend des produits à des prix inimaginables pour se faire de la thune et qui encule encore le consommateur. Je déteste ça. Et je l’ai exprimé, peut-être trop. Mais ce n’était pas le pire.
Le pire, ça a été quand j’ai fini par l’acheter, la manger, qu’on a quitté ce café pour rejoindre l’autre et que, malheureusement, ça a été une catastrophe.
Dans ce restaurant, nous avions pris un brunch. Un brunch à 28 euros. Sans même voir le contenu, je le savais, c’était déjà trop. Parce qu’à Paris, je connais des brunchs incroyables qui ne dépassaient pas les 20 euros, 25 maximum. Alors 28, en dehors du centre de Lille, c’était un scandale. Mais le pire, c’est quand le plat est arrivé. Ce plat, c’était supposé être un joli mix d’œufs brouillés, houmous, salade fraiche et bacon. Il s’est révélé être une cuillère d’œuf froid, une salade pourrie, un pot de houmous industriel et du jambon de parme. C’était trop pour moi et, j’insiste, pour les autres aussi. Nous avons commencé à nous plaindre, moi en précisant combien le prix était élevé pour le contenu. Mais ça, c’était avant que ma camarade à mes côtés ne se rebelle. Sans que je le comprenne, elle m’a attrapée discrètement et, autour d’un brouhaha de plaintes, m’a autoritairement et maladroitement dit : « Tu peux arrêter maintenant de répéter que c’est cher ?! C’est bon, on a compris. Déjà, avec ta quiche à sept balles, on avait l’impression que tu allais acheter une baraque. En fait, on dirait juste que t’es dans la merde financièrement et qu’on te fout encore plus dans la merde avec notre week-end, ça me met mal à l’aise. » Le culot.
Premièrement, j’ai été vexée, très fortement. Déjà parce que je n’ai absolument aucun problème d’argent et que mes couilles d’hommes ont pris dans leur égo, mais surtout parce que c’était moi, qui étais mal à l’aise. Et si j’étais passée pour une rapiat tout le weekend ? Et si tout le monde pensait la même chose ? J’ai paniqué.
Je me suis refait le séjour dans ma tête, lui ai expliqué que ce n’était pas une question d’argent mais de principe, et j’ai tout de même souligné que j’avais avancé plus de 300 euros en deux jours pour arranger tout le monde et payer les frais. J’ai fini par m’excuser, honteuse, ne sachant plus où me mettre.
L’histoire s’est bien terminée, au moins pour les autres, car les plaintes n’avaient pas cessé durant notre altercation, et nous n’étions pas seuls dans le restaurant, au point que le gérant nous a offert l’entièreté du menu pour se faire pardonner. C’était une bonne nouvelle. Oui, mais moi, je suis une sensible. Et si je suis en boucle pour une quiche à sept euros, autant vous dire que je le suis encore plus lorsqu’on pense de moi quelque chose que je ne suis pas. C’était dur, et la fin de mon week-end était gâchée. Évidemment, la gueuse ne voyait pas le mal. Pour elle, c’était simplement une remarque, rien de plus. Elle continuait d’ailleurs à me questionner sur mon parcours, ma carrière et mon activité, alors même que je lui avais expliqué que cela m’avait blessée. Pour moi, c’était trop difficile. J’avais l’impression d’être une merde. Une merde radine tandis que je scande ma générosité sur tous les toits. Et si je n’étais pas la personne que je crois être ? J’étais triste. Jusqu’au moment où Alex m’a rassurée. Et si ses mots n’ont pas été suffisants pour adoucir ma peine, ils m’ont permis de prendre du recul. Après tout, qu’importe ce qu’elle pensait de moi, ce qu’ils pensaient tous. Mon ami, lui, savait qui j’étais et m’aimait ainsi.